2008-09-24

une histoire de la ville



La ville, opérateur de la complexité
par Paul Blanquart*


Dans leurs activités, les sociétés premières – d’abord nomades puis sédentaires – sont peu différenciées. Groupes et individus en leur sein, hormis les distinctions secondaires dues au sexe et à l’âge, s’adonnent aux mêmes tâches, de manière identique : la chasse et la cueillette, l’élevage et l’agriculture, le petit artisanat. La diversification apparaît avec la ville, par la division du travail en métiers permanents et spécialisés, en grande partie nouveaux (commerces, productions inédites, fonctions d’organisation).

Complexité urbaine qui favorise la créativité. Au stade de l’hominisation, la ville s’inscrit ainsi, en tant qu’opératrice, dans la grande loi de l’évolution qui combine assemblage et différenciation. Complexité : on n’est pas moins unis d’être divers, pas moins divers d’être unis, bien au contraire. La ville est donc l’affaire d’unité du multiple, socialement, spatialement, mais aussi mentalement.

Or, on peut concevoir cette unité et ce multiple de telles sortes qu’ils n’aillent pas dans le sens de la complexité croissante, c'est-à-dire de la vie et de l’intelligence. Certaines figures historiques de la ville ont bridé, voire stérilisé ce dynamisme. Contemporain de sa naissance, l’Etat antique a figé, par elle, la diversité en un ordre social immuable, celui-là même du monde tel qu’il le pensait, enfermant chacun dans son rôle assigné, dans son statut : hiérarchie intangible, aux relations trop contrôlées pour être créatrices d’innovation.

En modernité occidentale, le roi français et cartésien, entouré d’énarques avant l’heure, met en scène son pouvoir dans la ville « classique », géométrisée, qui exprime une façon d’unifier le territoire par son homogénéisation, les esprits par leur normalisation (les Français ne marchent-ils pas à l’Etat ?), en un académisme ennemi de la diversité vivante.

Pour sa mise au travail de toute la société, la ville industrielle saura utiliser cet espace aplati que l’on peut découper. Passage de la mécanique à la thermodynamique : elle capte l’énergie nécessaire à la machine productive en la décomposant (finance des banquiers, intelligence des ingénieurs, labeur ouvrier) par une ségrégation spatiale (quartiers bourgeois et cités prolétaires), et recompose l’ensemble en ayant asservi chaque force à la seule croissance matérielle (unidimensionnalisation de l’existence).

A la pointe de ce processus moderne, combinant le techno-administratif et l’industriel, la ville fonctionnaliste, sous l’apparence d’une diversité d’activités (zones d’habitat, de travail, de loisirs et de circulation), promeut une vie quotidienne éclatée, formatée par la marchandise. Nous sommes loin de la complexité.


Mais, voici que ce modèle urbain, qui domine encore les esprits, est aujourd’hui en crise. La mondialisation, c'est-à-dire une mise en flux générale qui ignore les anciennes frontières, dessaisit l’Etat national de sa maîtrise territoriale. L’urbain fonctionnaliste, notamment dans les banlieues récentes, n’assure plus le travail. Ses habitants s’en trouvent assignés, désoeuvrés, dans le seul logement, et les zones commerciales et de loisirs entrent en déshérence.

Tous ceux qui peuvent s’en échapper le font, remplacés par des populations migrantes et démunies, qui stagnent. Apparaissent ainsi des territoires de relégation voués au pourrissement et à la violence. De nouvelles sociabilités s’y développent : gangs d’économie hors droit, communautarismes ethno-religieux. Comment sortir de cette situation ?
En relançant la complexité, inhérente au projet urbain. Il s’agit de tenir à la fois l’égalité (contre la hiérarchie de castes et de classes), la différence singulière (contre l’homogénéisation et la normalisation) et la relation (contre la ségrégation et la relégation) : en ville, les différences devraient être ce par quoi les individus, libres et égaux, à la fois se distinguent et s’unissent, dans une dynamique de stimulation innovante.

Comment y concourir pratiquement ? D’abord en favorisant spatialement la « mixité » sociale et culturelle. C’est un des grands paradoxes actuels : on circule beaucoup, mais on ne rencontre partout que les mêmes, ceux qui sont comme soi. Les « autres » ne sont que virtuels, voyeurisés sur des écrans. Or, la vie et l’intelligence requièrent le contact des corps, lequel déstabilise : il faut pouvoir se rencontrer, se parler, voire s’affronter, pour construire une vie commune et inventive.

Le mélange en un lieu d’habitat de gens de conditions et d’origines diverses apparaît nécessaire pour qu’on ne puisse s’éviter. A condition qu’on ne cherche pas l’obtenir par l’imposition générale de quotas fixes (tel pourcentage de blancs, de noirs, de rouges, etc.), ce qui risquerait fort de reproduire à une petite échelle – chaque différence collective s’enfermant dans son carré réduit – ce qui existe présentement à plus grande.

Si elle respecte l’exigence démocratique qui la fonde, la décentralisation doit rompre avec les procédures techno-administratives (calcul + norme) héritées de la tradition royale et jacobine et en inventer de nouvelles qui œuvrent à la constitution d’espaces citoyens locaux, diversifiés entre eux et chacun en son intérieur. Car la démocratie se définit aujourd’hui ainsi : par tous, entre autres, égaux et différents.

Voila qui favoriserait la détection de potentiels insoupçonnés et le profilage d’activités inédites, socialement utiles, débouchant en emplois. Voilà aussi qui désamorcerait les retours en force communautaristes par la valorisation en chacun de sa singularité intéressante, laquelle tient certes quelque chose de son origine culturelle particulière, mais ne s’y réduit pas : la différence est personnelle et se remétabolise sans cesse par le débat public.

Il est d’autres idées, allant dans le même sens de la complexité. Par exemple, la ville – c’est plus aisé pour celle qui dispose d’un passé – peut promouvoir cette singularisation enrichissante en favorisant en son sein des trajectoires multiples et variables, à emprunter au ralenti. La vitesse, on le sait, engendre la ligne droite et unique, détruit le temps et son exubérance créatrice, vous fait tout traverser sans rien voir. Or il s’agit d’aider à la rencontre, à l’invention du chemin par chacun, à jouer des périodes anciennes pour en imaginer une nouvelle. Cela mériterait développement. Ce sera ailleurs, et plus tard.
Paul Blanquart*


* Sociologue et philosophe, auteur d’Une histoire de la ville, pour repenser la société, La Découverte, 1997, nouvelle édition poche, La découverte, 2004.


« Construire un nouvel être ensemble, un nouvel art de faire société »
Conférence de Paul Blanquart, philosophe, sociologue et his-torien de la ville, auteur de l'ouvrage "Une histoire de la ville. Pour repenser la société".

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la Grande Transformation



L'AUTEUR
Karl Polanyi (1886-1964) est né à Vienne et a été élevé à Budapest. Encore étudiant, il rejoignit un cercle de radicaux «éclairés» dont faisaient partie Georg Lukacs et Karl Mannheim. Fait prisonnier sur le front russe pendant la deuxième Guerre Mondiale, il retourna à Vienne une fois libéré où il exerça la profession de journaliste. En 1940, lors d’un voyage aux USA il accepta l’offre du Bennington College où il enseignera l’économie politique et écrira la Grande Transformation.

LES QUESTIONS POSÉES
La Grande Transformation traite des origines politiques et économiques de l’effondrement de la civilisation du 19e siècle, ainsi que de la grande transformation qu’il a provoquée. L’une des questions posées est donc également celle de l’origine de la société occidentale de la deuxième moitié du 20e siècle.




LES POSTULATS
Le marché autorégulateur fut la source et la matrice du système économique et social de 1830 à 1930. Ce fut cette innovation qui donna naissance à une civilisation particulière et c’est dans les lois qui gouvernent l’économie de marché que se trouve la clé du système institutionnel du 19e siècle ainsi que l’explication de sa chute.




LES HYPOTHÈSES
Pas d’hypothèse. Cet ouvrage est un essai.




LES RÉPONSES APPORTÉES
La civilisation du 19e siècle reposait, selon l’auteur, sur quatre institutions. La première était le système de l’équilibre des puissances,. la deuxième était l’étalon-or international, la troisième le marché autorégulateur,.et la quatrième l’Etat. Pour Polanyi, ces quatre institutions donnèrent à l’histoire de notre civilisation ses principales caractéristiques. Parmi les quatre institutions, l’étalon-or est celle dont l’importance a été reconnue décisive, sa chute fut la cause immédiate de la catastrophe. Mais pour l’auteur, c’est le marché autorégulateur qui était la source et la matrice du système.

La thèse de l’auteur est que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Selon lui, une telle institution «ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert» (Polanyi, 1983, p. 22). En réaction, la société pris des mesures pour se protéger, mais toutes ces mesures, selon Polanyi, compromirent l’autorégulation du marché, désorganisant ainsi la vie industrielle, et exposèrent la société à d’autres dangers. Ce fut ce dilemme qui força le système du marché à emprunter dans son développement un sillon déterminé et finit par briser l’organisation sociale qui se fondait sur lui.

En d’autres termes, et de façon synthétique, dans sa tentative d’explication, Polanyi réduit la civilisation du 19e siècle à quatre institutions, désigne celle du marché autorégulateur comme fondamentale et démontre à partir de là que l’autodestruction de cette civilisation était inéluctable du fait d’une certaine qualité technique de son organisation économique.




LE RÉSUMÉ
Introduction

La Grande Transformation traite des origines politiques et économiques de l’effondrement de la civilisation du 19e siècle, ainsi que de la grande transformation qu’il a provoquée.

La civilisation du 19e siècle reposait, selon l’auteur, sur quatre institutions. La première était le système de l’équilibre des puissances qui, pendant un siècle, empêcha que survienne toute guerre longue et destructrice entre les Grandes Puissances. La deuxième était l’étalon-or international, symbole d’une organisation unique de l’économie mondiale. La troisième institution était le marché autorégulateur, qui produisit un bien-être matériel jusque-là insoupçonné. l’Etat libéral représentait la quatrième institution. Pour Polanyi, ces quatre institutions donnèrent à l’histoire de notre civilisation ses principales caractéristiques.

Parmi les quatre institutions, l’étalon-or est celle dont l’importance a été reconnue décisive, sa chute fut la cause immédiate de la catastrophe. Mais pour l’auteur, c’est le marché autorégulateur qui était la source et la matrice du système. Ce fut cette innovation qui donna naissance à une civilisation particulière. C’est donc dans les lois qui gouvernent l’économie de marché que l’auteur trouve la clé du système institutionnel du 19e siècle.

La thèse de l’auteur est que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Selon lui, une telle institution « ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert » (Polanyi, 1983, p. 22). En réaction, la société pris des mesures pour se protéger, mais toutes ces mesures, selon Polanyi, compromirent l’autorégulation du marché, désorganisant ainsi la vie industrielle, et exposèrent la société à d’autres dangers. Ce fut ce dilemme qui força le système du marché à emprunter dans son développement un sillon déterminé et finit par briser l’organisation sociale qui se fondait sur lui.

En d’autres termes, et de façon synthétique, dans sa tentative d’explication, Polanyi réduit la civilisation du 19e siècle à quatre institutions, désigne celle du marché autorégulateur comme fondamentale et démontre à partir de là que l’autodestruction de cette civilisation était inéluctable du fait d’une certaine qualité technique de son organisation économique.

Polanyi ne cherche donc pas une séquence convaincante d’événements saillants, mais une explication de leur tendance en fonction des institutions humaines. L’auteur s’arrête ainsi sur des scènes du passé dans le seul but d’éclairer les problèmes de son présent. Il analyse en détail des périodes critiques et néglige les moments qu’il juge intermédiaires.

Nous reprendrons ici les points d’analyse qui nous semblent les plus opportuns pour illustrer notre propre question de recherche. A travers les principaux développements de Polanyi, nous essaierons de faire ressortir la thèse de « l’hypothèse large » au sujet des origines de la révolution industrielle et du changement comme évolution historique.



Première partie : Le système international

Dans cette première partie, Polanyi traite de l’effondrement du système international. Il cherche à montrer que le système de l’équilibre des puissances ne pouvait assurer la paix, une fois mise en défaut l’économie mondiale sur laquelle il se fondait. Polanyi y voit, en outre, l’explication du caractère brusque de la rupture et la rapidité inconcevable de la désagrégation.

La paix de cent ans (Ch. 1)

Pour Polanyi, le 19e siècle se caractérise en premier lieu par un phénomène sans précédent dans les annales de la civilisation occidentale, à savoir les cent années de paix de 1815 à 1914 entre les Grandes Puissances européennes. Selon l’auteur, cet «exploit quasi miraculeux» venait du jeu de l’équilibre des puissances et d’un facteur entièrement nouveau : l’apparition d’un «parti de la paix» très actif. Le commerce pacifique devint en quelque sorte un intérêt universel.

L’universalité du commerce pacifique fut rendue possible, selon l’auteur, grâce à la haute finance. Cette institution propre au dernier tiers du 19e siècle et au premier tiers 20e siècle, fonctionna au cours de cette période comme le lien principal entre l’organisation politique et l’organisation économique mondiales. C’est elle qui fournit les instruments d’un système de paix internationale.

A la fin des années 1870, cependant, l’épisode du libre-échange (1846-1879) touchait à sa fin. Pour l’auteur, l’utilisation effective de l’étalon-or par l’Allemagne marqua les débuts d’une nouvelle ère de protectionnisme et d’expansion coloniale. L’équilibre des puissances comme système avait désormais disparu, son mécanisme avait cessé et seuls deux groupes de puissances restaient aux prises. La fin de la paix de cent ans, provoquée par la désintégration de l’organisation économique du 19e siècle, n’était plus qu’une question de temps.

Années vingt, années trente (Ch. 2)

Pour Polanyi, la débâcle de l’étalon-or international constitua le lien invisible entre la désintégration de l’économie mondiale depuis le début du 20e siècle et la transformation d’une civilisation tout entière au cours des années 1930.

Du point de vue politique, les traités qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale recelaient une contradiction fatale aux yeux de l'auteur. Par le désarmement unilatéral des nations vaincues, ils prévenaient toute reconstruction du système de l'équilibre des puissances.

Suivant les critères du 19e siècle, les années 1920 apparaissaient comme une ère révolutionnaire, à la lumière de notre propre existence, nous dit Polanyi, elle fut précisément le contraire. Le dessein de cette décennie fut profondément conservateur. Et ce fut de l'échec de l'effort de retour au passé caractéristique de cette décennie que naquit la transformation des années 1930. La thèse fondamentale de Polanyi est ainsi que la cause fondamentale de la crise fut la menace d'effondrement du système économique international. La croyance en l'étalon-or était la foi de l'époque, sa débâcle fut la principale responsable de la crise.

L'échec de l'étalon-or, cependant, n'eut guère d'autre rôle aux yeux de l'auteur que de marquer la date d'un événement trop important pour avoir été causé par lui. Dans une grande partie du monde , la crise s'accompagna de la destruction totale des institutions nationales de la société du 19e siècle et ces institutions firent partout l'objet d'une transformation et d'un remodelage dont elles sortirent presque méconnaissables.

La thèse que Polanyi cherche donc à prouver dans la suite de son ouvrage est donc que les origines du cataclysme que nous venons d'évoquer résident dans l'entreprise utopique par laquelle le libéralisme économique a voulu créer un système de marché autorégulateur.



Deuxième partie : Grandeur et décadence de l’économie de marché

Si, pour Polanyi, l’écroulement de la civilisation du 19e siècle a été déclenché par l’échec de l’économie mondiale, il n’en a certainement pas été le résultat. Ses origines, selon l’auteur, remontent à plus de cent ans, au bouleversement social et technique d’où est née en Europe occidentale l’idée d’un marché autorégulateur. C’est au 20e siècle que cette aventure s’est achevée et plus précisément au cours de la première moitié de ce siècle. Avec elle se clôt une phase distincte dans l’histoire de la civilisation industrielle. Cette deuxième partie traite de l’ensemble de ce phénomène, des origines de la société du 19e siècle à sa fin dans la première partie du 20e siècle.



A. « Satanic Mill ou la fabrique du diable »

Dans cette première sous-partie, Polanyi revient sur les origines de l'écroulement de la société du 19e siècle, c'est-à-dire au bouleversement social et technique d'où est née l'idée d'un marché autorégulateur. Ce bouleversement dont parle l'auteur c'est bien évidemment la Révolution industrielle, pendant laquelle on constate une amélioration "presque miraculeuse" des instruments de production, accompagnée d'une "dislocation catastrophique" de la vie du peuple.

"Habitation contre amélioration" (Ch 3.)

Pour Polanyi, si le libéralisme économique ne sut par lire l'histoire de la Révolution industrielle, ce fut parce qu'il s'obstina à juger les événements sociaux du point de vue économique. Pour illustrer ce point, l'auteur se tourne vers l'exemple de la clôture des champs ouverts (enclosures) et la conversion des terres arables en pâturages dans l'Angleterre de la première période Tudor.

Le but de Polanyi, en prenant cet exemple, est de montrer que l'on peut faire un parallèle entre les dévastations que provoquèrent des clôtures en définitive bénéfiques et celles qui résultèrent de la Révolution industrielle, et d'éclairer les choix faces auxquels se trouve une communauté en proie aux "affres d'une amélioration économique non dirigée" (Polanyi, 1983; p. 60).

Si l'Angleterre supporta sans grave dommage la calamité des enclosures, ce fut, selon l'auteur, parce que les Tudors et les premiers Stuarts utilisèrent leur pouvoir pour ralentir le processus de développement économique jusqu'à ce qu'il devienne socialement supportable. Ce fait fut oublier par les capitalistes du 19e siècle, qui avaient une croyance dans le progrès spontané qui les rendaient aveugles au rôle de l'Etat dans la vie économique.

En définitive, la pensée de l'auteur est qu'une avalanche de dislocations sociales, surpassant celle de la période des enclosures, s'abattit sur l'Angleterre et que cette catastrophe accompagnait un vaste mouvement d'amélioration économique. La Révolution industrielle fut simplement le début d'une révolution dont le nouveau credo était entièrement matérialiste et impliquait que, moyennant une quantité illimitée de biens matériels, tous les problèmes humains pouvaient être résolus.

Sociétés et systèmes économiques (Ch. 4)

Dans ce chapitre, Polanyi revient sur les hypothèses "extraordinaires" qui sont à la base du système de l'économie de marché.

L'évolution du modèle du marché (Ch. 5)

Selon Polanyi, le rôle dominant que jouent les marchés dans l'économie capitaliste, ainsi que l'importance fondamentale qui s'attache au principe du troc ou de l'échange dans cette économie, appellent une enquête attentive sur la nature et l'origine des marchés. C'est ce à quoi s'attache l'auteur dans ce chapitre.

La maîtrise du système économique par le marché, note l'auteur, a des effets irrésistibles sur l'organisation tout entière de la société: elle signifie que la société est gérée en tant qu'auxiliaire du marché. Au lieu que l'économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. Une économie de marché ne peut ainsi fonctionner que dans une société de marché qui permet au système économique de fonctionner selon ses propres lois.

Le passage des marchés isolés à une économie de marché, et celui des marchés régulés au marché autorégulateur, sont d'importance capitale. Or, le 19e siècle imaginait que cette évolution était le résultat naturel de l'extension des marchés, alors que Polanyi y voit plutôt la conséquence de l'effet de "stimulants extrêmement artificiels que l'on avait administrés au corps social afin de répondre à une situation créée par le phénomène non moins artificiel de la machine" (Polanyi, 1983, p. 89).

L'époque de la Révolution industrielle représente l'étape de l'histoire de l'humanité où l'on tenta d'établir un seul grand marché autorégulateur. Ce phénomène est l'objet du chapitre suivant.

Le marché autorégulateur et les marchandises fictives (Ch. 6)

Jusqu'à notre époque, les marchés n’ont jamais été que des éléments secondaires de la vie économique. En général le système économique était absorbé dans le système social. Le marché autorégulateur est donc une chose nouvelle.

Pour Polanyi, l’économie de marché repose sur des hypothèses extraordinaires. C’est un système économique commandé, régulé et orienté par les seuls marchés, la tâche d’assurer l’ordre dans la production et la distribution des biens est confiées à ce mécanisme autorégulateur. En outre, l’autorégulation implique que toute la production est destinée à la vente sur le marché et que tous les revenus proviennent de cette vente. Elle suppose des marchés sur lesquels l’offre des biens disponibles à un prix donné sera égale à la demande au même prix. Elle suppose également la présence de la monnaie, qui fonctionne comme pouvoir d’achat entre les mains de ses possesseurs. Enfin, l’Etat et sa politique ne doit rien permettre qui empêche la formation des marchés.

Un marché autorégulateur n’exige donc rien de moins que la division institutionnelle de la société en une sphère économique et une sphère politique. Et un tel modèle institutionnel, selon Polanyi, ne peut fonctionner sans que la société soit en quelque manière soumis à ses exigences. Une économie de marché ne peut exister que dans une société de marché. Elle doit donc comporter tous les éléments de l’industrie - travail, terre et monnaie inclus. Mais le travail n’est rien d’autre que ces êtres humains eux-mêmes dont chaque société est faite, et la terre, que le milieu naturel dans lequel chaque société existe. Les inclure dans le mécanisme du marché, nous dit l’auteur, c’est subordonner aux lois du marché la substance de la société elle-même.

Comme le mécanisme du marché s’enclenche sur les divers éléments de la vie industrielle à l’aide du concept de marchandise, le travail, la terre et l’argent doivent eux aussi être organisés en marchés et être considérés comme des marchandises. Or, l’auteur estime qu’il s’agit de fiction que de considérer ces trois éléments essentiels de l’industrie comme des marchandises. Une fiction dangereuse.

Un tel mécanisme a eu de nombreux effets négatifs sur la société soumise à son action. Permettre au mécanisme du marché de diriger seul le sort des êtres humains et de leur milieu naturel, et même, en fait, du montant et de l’utilisation du pouvoir d’achat, cela aurait pour résultat de détruire la société. Et cette menace pesant sur la société fut à l’origine de tout un réseau de mesures et de politiques qui fit naître des institutions puissantes destinées à enrayer l’action du marché touchant au travail, la terre et la monnaie.

L’histoire sociale du 19e siècle fut donc le résultat d’un double mouvement : l’extension du système du marché en ce qui concerne les marchandises authentiques s’accompagna de sa réduction quant aux marchandises fictives (travail, terre et monnaie).

Speenhamland, 1795 (Ch. 7)

La société du 18e siècle, nous dit Polanyi, résista inconsciemment à tout ce qui cherchait à faire d’elle un simple appendice au marché. Aucune économie de marché n’était concevable qui ne comportât pas un marché du travail, mais la création d’un tel marché, en particulier dans la civilisation rurale de l’Angleterre, n’exigeait rien de moins que la destruction massive de l’édifice traditionnel de la société.

Durant la période la plus active de la Révolution industrielle, de 1795 à 1834, la loi de Speenhamland permit d’empêcher la création d’un marché du travail en Angleterre. L’auteur revient, dans ce chapitre, sur cet événement.

Antécédents et conséquences (Ch. 8)

Le système de Speenhamland ne fut à l’origine qu’un expédient. Pourtant, selon Polanyi, peu d’institutions ont exercé une influence plus décisive que ce système sur le destin d’une civilisation tout entière.

Pour l’auteur, Speenhamland précipita la catastrophe sociale que connut l’Angleterre au cours de sa Révolution industrielle vers le milieu du 19e siècle. Au yeux de Polanyi, Speenhamland fut un instrument infaillible de la démoralisation populaire, un « automate destiné à détruire les modèles susceptibles de fonder n’importe quel type de société » (Polanyi, 1983, p. 140).

L’abrogation de Speenhamland fut l’œuvre d’une nouvelle classe qui faisait son entrée sur la scène de l’histoire : la bourgeoisie anglaise. A partir de cette date, le mécanisme du marché continua de s’affirmer et réclama que le travail des hommes devînt une marchandise. Pour l’auteur, le paternalisme réactionnaire de Speenhamland avait en vain cherché à résister à cette nécessité. L’abrogation de Speenhamland marqua la ruée aveugle vers le « refuge d’une utopique économie de marché ».

Paupérisme et utopie (Ch. 9)

Pendant la Révolution industrielle, le problème de la pauvreté gravitait selon Polanyi autour de deux sujets en étroite relation l’un avec l’autre : le paupérisme et l’économie politique. Ces deux sujets font partie d’un tout indivisible : la découverte de la société.

Polanyi aborde dans ce chapitre les différentes réponses apportées au cours du 18e siècle à la question de la provenance des pauvres et les utopies développées autour de cette question.

L’économie politique et la découverte de la société (Ch. 10)

Il a fallu que le sens de la pauvreté fût bien compris, nous dit Polanyi, pour que le 19e siècle entre en scène. Le développement de l’économie politique marque cette entrée en scène avec le passage des travaux d’Adam Smith, dans lesquels l’assistance aux pauvres ne pose pas encore de problèmes, à ceux de Townsend dans la Dissertation on the Poor Laws.

La nature biologique de l’homme apparut alors comme la fondation donnée d’une société qui n’est pas d’ordre politique. Il arriva ainsi, nous dit Polanyi, que les économistes abandonnèrent bientôt les fondements humanistes d’Adam Smith et adoptèrent ceux de Townsend. La loi de la population de Malthus et la loi des rendements décroissants telle que Ricardo la présente font de la fécondité de l’homme et de la fertilité du sol les éléments constitutifs du nouveau domaine dont l’existence a été découverte. Pour l’auteur, ce phénomène marque la découverte de la société, distincte de l’Etat politique.

Se révèle alors, selon Polanyi, la véritable signification du problème torturant de la pauvreté : la société économique est soumise à des lois qui ne sont pas des lois humaines. La réintégration de la société dans le monde des hommes devient ainsi l’objectif visé avec persistance par l’évolution de la pensée sociale.



B. L'autoprotection de la société

Pendant un siècle, la dynamique de la société moderne a été gouvernée par un double mouvement : le marché s’est continuellement étendu, mais ce mouvement a rencontré un contre-mouvement contrôlant cette expansion dans des directions déterminées. Quelque vitale que fût l’importance d’un tel contre-mouvement pour la protection de la société, nous dit Polanyi, celui-ci était compatible, en dernière analyse, avec l’autorégulation du marché et avec le système de marché lui-même. L’étude de ce contre-mouvement est l’objet de cette deuxième sous-partie.

L’homme, la nature et l’organisation de la production (Ch. 11)

La production est l’interaction de l’homme et de la nature. Si ce processus doit être organisé par l’intermédiaire d’un mécanisme régulateur de troc et d’échange, il faut alors faire rentrer l’homme et la nature dans son orbite, ils doivent être soumis à l’offre et à la demande, c’est-à-dire traités comme des marchandises.

Et pour l’auteur, tel était précisément le cas dans un système de marché. De l’homme on faisait des disponibilités, des choses prêtes pour le négoce, on pouvait acheter et vendre universellement, à un prix appelé salaire, l’usage de la force de travail, et à un prix appelé rente ou loyer, l’utilisation de la terre. Mais pour l’auteur, alors que la production pouvait théoriquement être organisée de cette manière, la fiction marchandise ne tenait aucun compte du fait qu’abandonner le destin du sol et des hommes au marché équivaudrait à les anéantir.

Ainsi donc, le contre-mouvement consista à contrôler l’action du marché en ce qui concerne les facteurs de production que sont le travail et la terre. Telle fut la principale fonction de l’interventionnisme. C’est donc sous les deux angles du libéralisme et de l’interventionnisme que Polanyi esquisse dans cette deuxième sous-partie les grandes lignes du mouvement qui a façonné l’histoire sociale du 19e siècle.

Naissance du credo libéral (Ch. 12 & 13)

Pour Polanyi, le libéralisme économique a été le principe organisateur d’une société qui s’employait à créer un système de marché. Dans les chapitres 12 et 13, l’auteur revient sur la naissance de ce qu’il appelle le credo libéral.

Naissance du credo libéral

Selon lui, ce credo libéral, qui était un «simple penchant pour des méthodes non bureaucratiques» à sa naissance, s’est développé en une «véritable foi dans le salut de l’homme ici-bas grâce à un marché autorégulateur». Ce «fanatisme» a résulté de la soudaine aggravation de la tâche dans laquelle il se trouvait engagé : «l’ampleur des souffrances qui devaient être infligées à des innocents aussi bien que la grande portée des changements enchevêtrées qu’entraînait l’établissement de l’ordre nouveau» (Polanyi, 1983, p. 184).

Pour l’auteur, ce n’est qu’à partir des années 1830 que le libéralisme économique éclate comme un esprit de «croisade passionnée» et que le laissez-faire deviennent une foi militante. Selon lui, les sources utopiques du dogme du laissez-faire sont contenues dans trois grands principes : un marché du travail concurrentiel, l’étalon-or automatique et le libre-échange international. En outre, ces trois principes forment un tout et il est inutile d’en appliquer un sans appliquer les deux autres.

Au cours du 20e siècle, c’est pendant les années vingt que le prestige du libéralisme économique fut à son zénith. Les années trente ont vu les absolus des années vingt remis en question. Et dans les années quarante, le libéralisme a subi une défait encore plus dure.

Intérêt de classe et changement social

Selon Polanyi, il convient de dissiper à la fois le mythe libéral de la conspiration collectiviste et la théorie propre au marxisme populaire du développement social à base de classes. Pour lui, les intérêts de classe ne donnent en réalité qu’une explication limitée des mouvements à long terme dans la société. Le sort des classes est bien plus souvent déterminé par la société que l’inverse.

Que les intérêts de classe jouent un rôle essentiel dans le changement social, c’est – pour Polanyi – dans la nature des choses. Car selon lui, toute forme de changement largement répandu doit toucher différemment les diverses parties de la communauté. Les intérêts partisans forment aussi le véhicule normal du changement social et politique.

Pourtant, nous dit l’auteur, la cause ultime du changement est fixée par des forces extérieures, et c’est seulement pour le mécanisme du changement que la société compte sur ses forces internes. Le «défi» s’adresse à la société dans son entier, la «réponse» parvient par l’intermédiaire de groupes, de secteur et de classes.

Les intérêts de classe à eux seuls ne peuvent donc fournir d’explication satisfaisante à aucun processus social à long terme. D’abord parce que le processus en question peut décider de l’existence de la classe elle-même, ensuite parce que les intérêts de telle ou telle classe ne déterminent que les buts et les fins que cette classe s’efforce d’atteindre, sans déterminer en même temps le succès ou l’échec de ces efforts.

En second lieu, il y a pour Polanyi la doctrine tout aussi erronée de la nature essentiellement économique des intérêts de classe. Selon lui, bien que la société humaine soit naturellement conditionnée par des facteurs économiques, les mobiles des individus ne sont qu’exceptionnellement déterminés par la nécessité de satisfaire aux besoins matériels.

Il convient donc d’aborder l’analyse de la société du 19e siècle débarrassé des préjugés que Polanyi vient de dénoncer. C’est dans cet esprit que l’auteur analyse dans les chapitres 14 à 16 les zones «dangereuses» du développement institutionnel de la société occidentale au cours de la période allant de 1834 à 1914.

Le marché et l’homme, la nature et l’organisation de la production (Ch. 14 à 16)

Dans les chapitres 14 à 16 Polanyi trace les grands traits du développement institutionnel de la société occidentale du 19e siècle en se référant dans les mêmes termes à chacune des zones dangereuses que sont les interfaces entre, d’une part, le marché et, d’autre part, l’homme, la nature et la production.

Car, nous dit l’auteur, que l’homme, la nature ou l’organisation de la production soient en cause, l’organisation du marché est devenue un danger et des classes ou des groupes déterminés ont réclamé d’être protégés. Et au tournant du 20e siècle, le contre-mouvement protectionniste avait créé une situation analogue dans tous les pays occidentaux.

Ainsi, la protection de l’homme, de la nature et de l’organisation de la production représente un mouvement d’autropréservation qui a eu pour résultat l’apparition d’un type de société plus étroitement soudée, mais qui était exposée à un danger de rupture complète.

Le marché et l’homme

Concernant la relation entre le marché et l’homme, c’est-à-dire la séparation du travail des autres activités de la vie et sa soumission aux lois du marché, le risque était d’anéantir toutes les formes organiques de l’existence et de les remplacer par un type d’organisation différent, atomisé et individuel. Pour Polanyi, ce plan de destruction fut parfaitement servi par l’application du principe de la liberté de contrat et abouti à la démolition des structures sociales.

Dans ce domaine, l’objet naturel de la protection sociale fut d’imposer au marché du travail la préservation des salaires et des conditions de travail, le respect du caractère humain de cette marchandise supposée, le travail.

Le marché et la nature

Ce que Polanyi appelle la terre est un élément de la nature qui est inextricablement entrelacé avec les institutions de l’homme. Selon lui, la main-d’œuvre et la terre ne sont traditionnellement pas séparées. La terre est ainsi liée aux organisations fondées sur la famille, le village, la guilde et l’église.

Pourtant, séparer la terre de l’homme et organiser la société de manière à satisfaire les exigences d’un marché de l’immobilier fut l’une des parties vitales de la conception utopique d’une économie de marché.

La défense de la société contre la dislocation générale a été, nous dit Polanyi, aussi large que le front de l’attaque. Bien que le droit coutumier et la législation aient par moments hâté le changement, à d’autres ils l’ont ralenti.

Le marché et l’organisation de la production

Dans le cas de l’entreprise de production comme dans celui de l’homme et de la nature, le danger de dislocation était réel. Le besoin de protection provenait de la manière dont l’offre de la monnaie était organisée dans un système de marché.

La Banque centrale moderne, nous dit Polanyi, a constitué en effet un dispositif destiné à fournir la protection sans laquelle le marché aurait détruit ses propres «enfants», les entreprises commerciales de toute espèce. Pourtant, selon Polanyi, c’est en fin de compte cette forme de protection qui a contribué le plus immédiatement à l’effondrement du système international.

Le libéralisme économique avait donc débuté une centaine d’année plus tôt et s’était heurté à un contre-mouvement protectionniste qui désormais battait en brèche le dernier bastion de l’économie de marché. Un nouvel ensemble d’idées directrices supplantait le monde du marché autorégulateur. Les forces insoupçonnées du leadership charismatique et de l’isolationnisme autarcique explosèrent alors et fondirent les sociétés dans des formes nouvelles.

L’autorégulation compromise (Ch. 17)

Pendant la période allant de 1879 à 1929, les sociétés occidentales sont devenues, aux yeux de Polanyi, des unités au tissus serré, à la merci de tensions cachées, mais puissantes et capables de tout disloquer. L’origine la plus immédiate de cette situation est, pour l’auteur, la compromission de l’autorégulation de l’économie de marché. Puisque la société était faite pour se conformer au mécanisme du marché, des imperfections dans le fonctionnement de ce dernier créaient et accumulaient des tensions dans le corps social.

L’autorégulation était compromise du fait du protectionnisme. Celle-ci impliquait la création de marchés pour le travail, la terre et la monnaie, mais comme le fonctionnement de ces marchés menaçait de détruire la société, la communauté a cherché, par une action d’autodéfense, à les empêcher de s’établir ou, une fois qu’ils ont été établis, à intervenir dans leur libre fonctionnement. C’est ce protectionnisme qui a justement compromis l’autorégulation de l’économie de marché.

Tensions de rupture (Ch. 18)

L’uniformité des dispositions institutionnelles sous-jacentes au protectionnisme explique, selon Polanyi, que les événements ont suivi, au cours du demi-siècle qui va de 1879 à 1929, un schéma étonnamment uniforme, qui a pris des dimensions gigantesques.Polanyi regroupe les tensions de rupture dont il est question dans ce chapitre selon les principales sphères institutionnelles. En économie intérieure, des symptômes très divers de déséquilibre, comme le déclin de la production, de l’emploi et des gains, seront représentés ici par le fléau caractéristique du chômage. En politique intérieure, il y a eu la lutte des forces sociales et son impasse, que Polanyi définit comme la tension des classes.

Les difficultés dans le domaine de l’économie internationale, qui étaient centrées autour de la balance des paiements, et qui comprenaient un fléchissement des exportations, des conditions défavorables pour le commerce, une pénurie de matières premières et des pertes sur les investissements étrangers, l’auteur les désignes en groupe par une forme caractéristique de tension, à savoir la pression sur les échanges. Enfin, l’auteur subsume les tensions de la politique internationale en rivalités impérialistes. En définitive, le passage en revue des différentes tensions de rupture selon leur sphère institutionnelle d’appartenance ne fait que conforter l’auteur dans la première partie de l’énoncé de sa thèse : selon lui, au cœur de la transformation se trouvait l’échec de l’utopie de marché.



Troisième partie : La transformation en marche

Dans la dernière partie de son ouvrage, Polanyi parle du mécanisme qui a, selon lui, commandé le changement social et national à notre époque (1945). L’auteur pense, de façon générale, qu’il est nécessaire de définir la condition présente de l’homme en fonction des origines institutionnelles de la crise. Si la partie précédente lui a permis de démontrer que l’échec de l’utopie de l’économie marché était au cœur de la transformation en marche, il s’attache dans celle-ci à montrer de quelle manière les événements réels ont été déterminés par cette cause.

Gouvernement populaire et économie de marché (Ch. 19)

Lorsque le système international échoua en 1920, les questions presque oubliées du début du capitalisme reparurent. D’abord et avant tout, celle du gouvernement populaire. Ensuite, par nécessité propre, les problèmes qui sont à la racine d’une société de marché ont reparu : l’interventionnisme et la monnaie. Ils ont été, nous dit l’auteur, au centre de la politique des années 1920. Le libéralisme économique et l’interventionnisme socialiste ont tourné autour des différentes réponses à leur donner.

En Angleterre, pendant les années 1920, le parti ouvrier se retrancha dans le Parlement, où le nombre de ses élus lui donnait du poids, les capitalistes firent de l’industrie une forteresse d’où ils régentaient le pays. Les corps populaires répondirent en intervenant brutalement dans les affaires, sans tenir compte des besoins de l’industrie telle qu’elle était. Finalement, le moment allait venir où les systèmes économique et politique seraient l’un et l’autre menacés de paralysie totale. La population pris peur, et le rôle dirigeant revint par force à ceux qui offraient une issue facile, quel qu’en fût le prix ultime. Aux yeux de Polanyi, les temps étaient mûrs pour la solution fasciste.

L’histoire dans l’engrenage du changement social (Ch. 20)

Dans ce chapitre, l’auteur analyse plus en profondeur les raisons qui ont amenées le fascisme au pouvoir dans bon nombre de pays. Selon lui, si jamais mouvement politique répondit aux besoins d’une situation objective, au lieu d’être la conséquence de causes fortuites, c’est bien le fascisme. En même temps, le caractère destructeur de la solution fasciste était évident. Elle proposait une manière d’échapper à une situation institutionnelle sans issue qui était, pour l’essentiel, la même dans un grand nombre de pays, et pourtant, essayer ce «remède», c’était répandre partout une maladie mortelle. Pour reprendre les termes de l’auteur : ainsi périssent les civilisations.

Selon l’auteur, le rôle joué par le fascisme a été déterminé par un seul facteur, l’état du système du marché. De 1917 à 1923, les gouvernements demandèrent à l’occasion l’aide des fascistes pour rétablir la loi et l’ordre : il n’en fallait pas plus pour faire fonctionner le système de marché. Le fascisme resta alors embryonnaire. De 1924 à 1929, quand le rétablissement du système de marché parut assuré, le fascisme s’effaça complètement en tant que force politique. Après 1930, l’économie de marché est entrée en crise générale. En quelques années, le fascisme devint une puissance mondiale en même temps que les systèmes économique et politique internationaux s’écroulaient.

La liberté dans une société complexe (Ch. 21)

Selon Polanyi, la découverte de la société est soit la fin, soit la renaissance de la liberté. Alors que le fascisme se résigne à abandonner la liberté et glorifie le pouvoir qui est la réalité de la société, le socialisme se résigne à cette réalité-là et, malgré cette réalité, prend en charge l’exigence de liberté.

Pour l’auteur, la résignation a toujours été la source de la force de l’homme, et de son nouvel espoir. L’homme a accepté la réalité de la mort et a bâti sur elle le sens de sa vie physique. Il s’est résigné à la vérité qu’il a une âme à perdre et qu’il y a pire que la mort, et c’est là-dessus qu’il a fondé sa liberté. Il se résigne, à notre époque, à la réalité de la société qui signifie la fin de cette liberté. Mais encore une fois, la vie jaillit de l’ultime résignation. En acceptant sans se plaindre la réalité de la société, l’homme trouve le courage indomptable et la force de supprimer toute injustice susceptible d’être supprimée et toute atteinte à la liberté.



Conclusion

Au 19e siècle, ce qui a fourni les conditions préalables à la grande transformation, c’est le mécanisme du marché autorégulateur, dont les exigences devaient être remplies par la vie nationale et la vie internationale. De ce mécanisme ont découlé deux traits exceptionnels de la civilisation : son déterminisme rigide et son caractère économique. L’opinion générale de l’époque, nous dit Polanyi (1988, pp. 284-285), a eu tendance à lier ces deux traits et à supposer que le déterminisme provenait de la nature des mobiles économiques, selon lesquels elle s’attendait que les individus poursuivent leurs intérêts financiers.

En fait, pour l’auteur, il n’y a aucune relation entre les deux. Le déterminisme si prononcé dans bien des détails est simplement la conséquence du mécanisme d’une société de marché, avec ses alternatives prévisibles, dont la rigueur était attribuée à tort à la puissance des mobiles matérialistes. Le système offre-demande-prix s’équilibrera toujours, quels que soient les mobiles des individus, et il est notoire aux yeux de Polanyi que les mobiles économiques en eux-mêmes ont beaucoup moins d’effet sur la plupart des gens que les mobiles dits affectifs.

Pour l’auteur, l’humanité était donc sous l’emprise, non pas de mobiles nouveaux, mais de mécanismes nouveaux. La tension a surgi de la zone du marché, de là elle s’est étendue à la sphère politique, couvrant ainsi l’ensemble de la société. Mais à l’intérieur des nations prises une à une, la tension est demeurée latente aussi longtemps que l’économie mondiale continuait à fonctionner. Ce n’est que lorsque disparut la dernière à survivre de ses institutions, l’étalon-or, que s’est relâchée la tension interne aux nations et que la civilisation du marché fut engloutie. Commença alors la grande transformation dans les faits qui se sont déroulé de 1929 à 1945.


source texte:
http://www.cnam.fr

2008-08-01

définition de la propagande moderne


Son objectif ultime est moins d'inculquer des convictions que d'inciter à certaines actions lorsque le moment sera venu. Au total, le sujet peut bien penser ce qu'il veut.
Il est même sage de lui laisser le sentiment qu'il est libre de ses pensées. Mais il faut que, dans le feu de l'action, ses actes se conforment à la volonté exclusive du manipulateur.Ce qu'il faut lui inculquer,ce sont des comportements, non des idées. Là réside, selon l'observateur, l'originalité sans doute la plus radicale de la propagande moderne.

Son but," ce n'est plus de faire changer d'adhésion à une doctrine, mais d'engager irrationnellement dans un processus actif.Ce n'est plus d'amener à un choix, mais de déclencher des réflexes.Ce n'est plus de transformer une opinion, mais d'obtenir une croyance active et mythique."[...]Le but de la propagande, c'est d'obtenir un acte de l'individu, avec le maximum d'efficicaté et le maximum d'économie".

extrait de :

Institutions Et Publics Des Moyens D'Information. Presse, Radiodiffusion, Télévision
Presse, Radiodiffusion, Télévision

Auteur : Balle, Francis
Date de parution : janvier 1973
Editeur : Montchrestien
Collection : Université Nouvelle

Comment les PUISSANTS détruisent le monde



"Pour figurer aujourd'hui dans le palmares des 500 plus grandes fortunes professionnelles,il faut posséder un patrimoine de 60 millions € (près d'un demi milliard de francs). En 1997 il suffisait de 15 millions "Le seuil de patromonial de L'ISF correspond à 760 mois de smic, soit 63 années de travail d'un manoeuvre."

Que disait Veblen ? Que la tendance à rivaliser est inhérente à la nature humaine. Chacun d’entre nous a une propension à se comparer aux autres, et cherche à manifester par tel ou tel trait extérieur une petite supériorité, une différence symbolique par rapport aux personnes avec lesquelles il vit.

Veblen ne prétendait pas que la nature humaine se réduit à ce trait, il ne le jugeait pas d’un point de vue moral, il le constatait. S’appuyant sur les nombreux témoignages des ethnographes de son époque, il constatait aussi que cette forme de rivalité symbolique s’observe dans toutes les sociétés.

De surcroît, poursuivait-il, toutes les sociétés produisent assez aisément la richesse nécessaire pour satisfaire leurs besoins de nourriture, de logement, d’éducation des enfants, de convivialité, etc.
Pourtant, elles produisent généralement une quantité de richesses bien supérieure à la satisfaction de ces besoins. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de permettre à leurs membres de se distinguer les uns des autres.

Veblen constatait ensuite qu’existent le plus souvent plusieurs classes au sein de la société. Chacune d’entre elles est régie par le principe de la rivalité ostentatoire.
Et, dans chaque classe, les individus prennent comme modèle le comportement en vigueur dans la couche sociale supérieure, qui montre ce qu’il est bien, ce qu’il est chic de faire.

La couche sociale imitée prend elle-même exemple sur celle qui est située au-dessus d’elle dans l’échelle de la fortune. Cette imitation se reproduit de bas en haut, si bien que la classe située au sommet définit le modèle culturel général de ce qui est prestigieux, de ce qui en impose aux autres.

Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société.

Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines « people » sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant.

Comment alors l’oligarchie bloque-t-elle les évolutions nécessaires pour prévenir l’aggravation de la crise écologique ? Directement, bien sûr, par les puissants leviers – politiques, économiques et médiatiques – dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges. Mais aussi indirectement, et c’est d’une importance équivalente, par ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité.

Nous rebouclons maintenant avec l’écologie. Prévenir l’aggravation de la crise écologique, et même commencer à restaurer l’environnement, est dans le principe assez simple : il faut que l’humanité réduise son impact sur la biosphère.

Y parvenir est également en principe assez simple : cela signifie réduire nos prélèvements de minerais, de bois, d’eau, d’or, de pétrole, etc., et réduire nos rejets de gaz à effet de serre, de déchets chimiques, de matières radioactives, d’emballages, etc. Ce qui signifie réduire la consommation matérielle globale de nos sociétés. Une telle réduction constitue le levier essentiel pour changer la donne écologique.

Qui va réduire sa consommation matérielle ? On estime que 20 à 30 % de la population mondiale consomme 70 à 80 % des ressources tirées chaque année de la biosphère. C’est donc de ces 20 à 30 % que le changement doit venir, c’est-à-dire, pour l’essentiel, des peuples d’Amérique du nord, d’Europe et du Japon.

Au sein de ces sociétés surdéveloppées, ce n’est pas aux pauvres, aux RMIstes, aux salariés modestes que l’on va proposer de réduire la consommation matérielle. Mais ce n’est pas non plus seulement les hyper-riches qui doivent opérer cette réduction : car même si MM. Sarkozy, Vincent Bolloré, Alain Minc, Bernard Arnault, Arnaud Lagardère, Jacques Attali et leur cortège d’oligarques se passent de limousines avec chauffeurs, de montres clinquantes, de shopping en 4 x 4 à Saint-Tropez, ils ne sont pas assez nombreux pour que cela change suffi- samment l’impact écologique collectif.

C’est à l’ensemble des classes moyennes occidentales que doit être proposée la réduction de la consommation matérielle.

On voit ici que la question de l’inégalité est centrale : les classes moyennes n’accepteront pas d’aller dans la direction d’une moindre consommation matérielle si perdure la situation actuelle d’inégalité, si le changement nécessaire n’est pas équitablement adopté. Recréer le sentiment de solidarité essentiel pour parvenir à cette réorientation radicale de notre culture suppose évidemment que soit entrepris un resserrement rigoureux des inégalités – ce qui, par ailleurs, transformerait le modèle culturel existant.

La proposition de baisse de la consommation matérielle peut sembler provocante dans le bain idéologique dans lequel nous sommes plongés. Mais, aujourd’hui, l’augmentation de la consommation matérielle globale n’est plus associée avec une augmentation du bien-être collectif – elle entraîne au contraire une dégradation de ce bien-être.

Une civilisation choisissant la réduction de la consommation matérielle verra par ailleurs s’ouvrir la porte d’autres politiques. Outillée par le transfert de richesses que permettra la réduction des inégalités, elle pourra stimuler les activités humaines socialement utiles et à faible impact écologique.

Santé, éducation, transports, énergie, agriculture sont autant de domaines où les besoins sociaux sont grands et les possibilités d’action importantes. Il s’agit de renouveler l’économie par l’idée de l’utilité humaine plutôt que par l’obsession de la production matérielle, de favoriser le lien social plutôt que la satisfaction individuelle. Face à la crise écologique, il nous faut consommer moins pour répartir mieux. Afin de mieux vivre ensemble plutôt que de consommer seuls.

Hervé Kempf.

EXTRAIT DE :
Manière de voir — L’Internationale des riches
99 / Juin-juillet 2008

2008-07-15

comment sortir des logiques guerrières ? Patrick Viveret


En 1998, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) chiffrait à 40 milliards de dollars l’ensemble des dépenses supplémentaires nécessaires pour s’attaquer aux maux les plus scandaleux de l’humanité : la faim, le non-accès à l’eau potable et aux soins de base, les problèmes de logement. Dans le même temps, le PNUD chiffrait trois autres budgets très caractéristiques, dix à vingt fois plus élevés : les 400 milliards de dépenses mondiales de publicité, les 800 milliards de dollars de dépenses mondiales d’armement, les 400 milliards de dollars de l’économie des stupéfiants. Les dépenses d’armement atteignent aujourd’hui 1 200 milliards de dollars et celles de publicité 700 milliards de dollars.

Que gère-on avec les trois budgets démentiels de l’armement, de la toxicomanie et de la publicité ? A la lumière de la thèse de Keynes sur la dépression nerveuse collective, on peut avancer l’idée que, pour l’essentiel, il s’agit de gérer du mal-être. Directement à travers l’armement – de la peur et de la domination – et des stupéfiants. Quant à la publicité, sa caractéristique fondamentale est de permettre à des désirs qui sont de l’ordre de l’être de se transformer en désirs de l’ordre de l’avoir – de la possession ou de la consommation. Les publicitaires savent bien que l’aspiration fondamentale des hommes relève du bien-être et que ce désir fondamental s’exprime dès que nous ne sommes plus en situation de survie biologique et que nous pouvons nous poser la question de la qualité de la vie.

« Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en a pas assez s’il s’agit de satisfaire le désir de possession ».

Cette fameuse phrase prononcée par Gandhi peu de temps avant sa mort est formidablement actuelle. Le désir est illimité, à la différence du besoin, autorégulé par la satisfaction. Comme le démontrent les 225 personnes dont le revenu cumulé équivaut à celui de 2,5 milliards d’êtres humains, chiffre officiel des Nations unies.

Les échecs de l’autorégulation du libéralisme et de la planification du socialisme ont confirmé que d’un point de vue anthropologique nous ne sommes pas seulement des êtres de besoin, mais aussi de désir et d’angoisse. L’énergie du désir est sans commune mesure avec celle du besoin et, seule, nous permet, au sens propre et au sens figuré, de déplacer des montagnes. Si on place ce désir dans l’ordre de l’avoir, cela va engendrer une situation de rareté artificielle considérable entretenue par le fait que le désir de richesse ou de pouvoir des uns ne peut se réaliser qu’au détriment de celui des autres.

Si l’on approfondit cette question en termes de stratégie positive, on en déduit ceci : face à des systèmes de captation de la richesse directement liés à du mal-être et de la maltraitance collective, seules des stratégies de mieux-être, peuvent aboutir à une réussite positive. Les stratégies anti-guerre économique reposent donc aussi sur le fait que les acteurs qui les mettent en œuvre vont s’auto-organiser de manière coopérative pour se donner mutuellement, non seulement des moyens de survie et de lutte, mais aussi des moyens de vivre mieux dans l’ordre de l’être.

Il faut, nous dit avec force Viveret, refuser les logiques sacrificielles qui laissent croire que le bonheur nous serait en quelque sorte interdit étant donné la situation tragique dans laquelle le monde est placé. Au contraire, on ne trouve l’énergie nécessaire aux combats individuels et collectifs que si on se donne les moyens, personnellement et collectivement, d’aller le plus possible vers des stratégies de mieux-être.

Patrick VIVERET



partie 2

2008-04-22

Les classes moyennes à la dérive de Louis Chauvel



analyse la situation des classes moyennes en France, sous l’angle économique, social et historique. Un éclairage douloureux mais nécessaire.


Les grandes conquêtes sociétales des années 1950-1970 : propriété du logement, départs en vacances, acquisition d’une automobile, contraception, accès à l’université, etc.
La génération des baby-boomers a connu une amélioration de ses conditions de vie sans précédent, permettant à chacun de prendre l’ascenseur social et de monter d’un ou plusieurs niveaux dans la société.

Une analyse par tranches d’âge révèle une surprise de taille: il y a 20 ou 30 ans, la pauvreté touchait essentiellement des personnes âgées, souvent laissées de côté par l’industrialisation et l’exode rural; de façon cynique, on pouvait se dire que le problème se résoudrait (et s’est résolu) de façon naturelle. Or, ces dernières années, la pauvreté a sauté une génération: les pauvres d’aujourd’hui sont des jeunes, plein d’avenir dans la pauvreté!

L’ascenseur social et la méritocratie sont en panne, ne laissant une chance qu’aux meilleurs… et à ceux qui peuvent bénéficier d’un soutien familial.

Les classes moyennes à la dérive, par Louis Chauvel: un électrochoc salutaire publié à La République des Idées, chez Seuil.

Louis Chauvel, sociologue, est professeur à Sciences Po. Chercheur à l’Observatoire des conjonctures économiques (OFCE) et à l’Observatoire sociologique du changement (OSC), il est aussi membre de l’Institut universitaire de France. Spécialiste des inégalités et des dynamiques générationnelles, il est l’auteur du Destin des générations (PUF, 1998).

Géographie de la domination de David Harvey


Présentation de Géographie de la domination : En plus de l'histoire du capitalisme, David Harvey s'interesse aussi à sa géographie : le pouvoir de détruire ou de construire, de façonner les espaces, de s'approprier la terre, de reconfigurer le visage des villes, de modifier en profondeur l'urbanisme et l'architecture, de changer notre rapport au temps et à l'espace.

Dans ce livre, David Harvey nous montre à quel point le capitalisme mondialisé est marqué par la nécessité - pour acquérir de nouvelles rentes de monopoles - d'encourager la production de singularités culturelles locales. Ainsi peut-on lire par exemple les principales reconfigurations urbanistiques et architecturales de ces dernières années.

Il s'attache aussi, dans un texte majeur, à y définir une «géopolitique du capitalisme», en montrant comment la logique d'accumulation du capital l'oblige à trouver des solutions spatiales aux contradictions qui le minent.

les Editions Les Prairies ordinaires, nouvelle collection, dirigée par François Cusset et Rémy Toulouse, intitulée Penser/Croiser.

domination de la pensée médiatisée

La "Spirale du silence"

Les médias offrent la même information à un grand nombre de gens, et ils présentent les événements avec leur opinion des faits.

Ainsi les gens n'ont accès qu'à une opinion, qu'ils croient être celle partagée par le plus grand nombre de personnes.
L'effet de la spirale du silence est que les gens analysent continuellement les opinions traversant l'espace public afin de ne pas émettre une opinion qui les placerait en marge de la société.
S'ils voient que les médias favorisent une opinion qui n'est pas la leur, ils n'oseront pas s'exprimer, croyant qu'ils sont seuls à penser cela.

la Roumanie où, il y a quelques années, de faux charniers avaient été créés par des opposants au pouvoir, et filmés et médiatisés, mettant en cause les dirigeants, et favorisant ainsi le coup d'Etat qui suivit en attirant la sympathie du peuple sur les opposants. La supercherie n'a été découverte que plusieurs années plus tard.

(Éducation Civique)

2008-04-21

Propaganda par Edward Bernays



Véritable petite guide pratique écrit en 1928 par le neveu américain de Sigmund Freud, ce livre expose cyniquement et sans détour les grands principes de la manipulation mentale de masse ou de ce que Bernays appelait la « fabrique du consentement ».

Comment imposer une nouvelle marque de lessive ? Comment faire élire un président ? Dans la logique des « démocraties de marché », ces questions se confondent.
Bernays assume pleinement ce constat : les choix des masses étant déterminants, ceux qui viendront à les influencer détiendront réellement le pouvoir. La démocratie moderne implique une nouvelle forme de gouvernement, invisible : la propagande. Loin d'en faire la critique, l'auteur se propose d'en perfectionner et d'en systématiser les techniques à partir des acquis de la psychalanyse.

Un document édifiant où l'on apprend que la propagande politique au XXe siècle n'est pas née dans les régimes totalitaires mais au cœur même de la démocratie libérale américaine.

information grand publique wikipédia
Edward Louis Bernays

Ouvrage initialement paru sous le titre Propaganda aux éditions H. Liveright, New York, en 1928 et réédité chez Ig publishing en 2004. © Edward Bernays, 1928. © Pour la traduction française, Zones / Éditions La Découverte, Paris, 2007.

« Neveu de Sigmund Freud, diplômé d'agronomie et journaliste occasionnel, Edward Bernays fut un personnage haut en couleurs, qui prodigua ses conseils à de nombreuses entreprises et orchestra maintes campagnes d'opinion, aux Etats Unis comme en Amérique latine. Avec Propaganda, il signa un volume mince et incisif, qu'un regard trop pressé qualifierait de cynique. »

LE MONDE




envoyé par


lesmutins.org
Les Mutins de Pangée est une coopérative de production audiovisuelle faisant appel à un collectif de réalisateurs, producteurs, et techniciens ayant une expérience atypique de la production et de la diffusion télévisuelle et cinématographique.

"Prédation et prédateurs " de Michel VOLLE


extrait de son livre (page 182/183)sortie en janvier 2008 edition economica

Après la deuxième guerre mondiale s’est formée en France une constellation dont
les étoiles se nommaient Marxisme, Psychanalyse, Linguistique, Sociologie, Surréalisme : elle a balisé pendant un demi-siècle le champ du culturellement correct, conditionné la création littéraire et philosophique, imposé un sentier dont il était mal vu de s’écarter.

Puis la place prise par la télévision, le financement de celle-ci par la publicité, le pouvoir d’achat des adolescents, ont fait émerger d’autres repères. Le culturellement correct a migré vers une constellation moins intellectuelle qui s’appuie, à des fins commerciales, sur les ressorts de l’émotivité.

Ceux qui maîtrisent l’accès aux médias (directeurs de chaîne, journalistes) et sont en mesure de prélever un péage sur ce commerce constituent une nouvelle aristocratie.

Ainsi s’expliquent, entre autres phénomènes, l’achat de TF1 par Francis Bouygues, les succès politiques de Silvio Berlusconi (Musso [96]) et les tentatives de Jean-Marie Messier.

La pression médiatique fait disparaître le rapport avec la nature au bénéfice d’artefacts (jeux vidéo, dessin animé, effets spéciaux) dont l’esthétique imprègne un spectacle audiovisuel mécanique, rapide et le plus souvent violent.

L’autre est alors considéré avec indifférence sauf s’il s’agit d’une « star » dont on admire d’ailleurs non la personne, mais l’image. L’intellect, ayant pour seul aliment des artefacts à finalité commerciale, n’a plus que des repères artificiels ; l’action,
élaborée dans le monde imaginaire, provoque dans le monde réel des conséquences erratiques. Une forme moderne de barbarie se crée et l’on aurait tort de croire qu’elle ne recrute ses adeptes que parmi les plus pauvres.

Les relations publiques et la communication politique moderne, fondées sur l’image et l’émotion, ont été inventées dans les années 1920 par Edward Bernays [14]. Frank Luntz, spécialiste républicain des sondages, dira « la perception EST la réalité,
en fait elle est supérieure à la réalité » (Lemann [84]). Dans Le Littératron [44] Robert Escarpit a démonté la manipulation des esprits par les spin doctors mais c’était un roman : la réalité a rejoint la fiction.

La prédation utilise intelligemment les médias : d’après Stauber et Rampton [138] 40 % de ce qui est publié dans la presse aux États-Unis reproduit les communiqués des public relations, et le nombre des salariés des agences de relations publiques
(150 000) dépasse celui des journalistes (130 000).

En France deux industriels de l’armement (Dassault avec la Socpresse, Lagardère avec le groupe Lagardère Media) possèdent à eux seuls 70 % de la presse ; Bouygues, grande entreprise de bâtiment, contrôle TF1. Si ces entreprises s’intéressent tant à
la communication, ce n’est pas par souci culturel : les politiques sont sensibles à tout ce qui peut influencer leur image et c’est d’eux que dépendent les commandes publiques.

Les médias imposent leurs règles à l’homme politique au point de le transformer en marionnette impersonnelle : il doit se faire limer les canines, teindre ses cheveux, masquer sa calvitie, subir un lifting, maîtriser la position de ses mains, bien choisir la couleur de ses vêtements. L’apparence prime le fond ou du moins elle est jugée nécessaire pour « faire passer » le fond, s’il existe. L’information est répétitive, sécurisée et bornée par des frontières invisibles (Pilger [109]) : « être anxiogène est un risque antenne ».

« La “gestion de la perception” est en train d’écrire l’histoire en direct ; quand le chèque tombe dans la boîte aux lettres, ça apaise les problèmes moraux » (Moreira [95], p. 102 et 110) :
la liberté d’expression a donné naissance au trafic d’influence.

Michel VOLLE DURANT UNE CONFERENCE EN DECEMBRE 2007

"Storytelling" un livre de Christian Salmon


Dans "Storytelling", l’ex-président de l’ancien Parlement international des écrivains, Christian Salmon, retrace la généalogie de cette nouvelle doctrine ("l'art de raconter des histoires"), aujourd’hui devenue "arme de distraction massive" à même non seulement de formater notre rapport à la réalité, mais de fabriquer le réel. Le fin du fin de la propagande du marché.

Le "storytelling" est apparu dans les années 90. Aux Etats-Unis, pour commencer. A cette période, "le tournant narratif des sciences sociales coïncide avec l'explosion d'Internet et les avancées des nouvelles techniques d'information et de communication". Une nouvelle fois, la communication entre les individus mutait.

Mais là, on allait passer du capitalisme de capitaine d’industrie à un libéralisme sans visage devenu nomade et indolore. Les repères cessaient d’exister. Ce n’est plus notre rapport au monde qui allait changer, mais notre perception du monde. C’est à ce moment que les multinationales ont développé une stratégie consistant à passer de la marque au logo, dans la façon de concevoir leurs publicités. Changeant notre perception de la marque, son pouvoir de narrativité, son attrait... et donc sa force d'impact, et donc sa force de vente.

Quand le Pentagone et Hollywood travaillent ensemble, ce n’est pas le monde qui change. C’est le réel.

Après le 11 Septembre, scénaristes et dirigeants se concertent

Evidemment, le 11 Septembre est un tournant dans l’histoire moderne. Comme une incursion de fiction dans le réel. La réponse du pouvoir américain Peu après l’attentat, il y eût une réunion entre hauts responsables américaines et quelques scénaristes (le co-scénariste d’"Apocalypse Now", le scénariste de "Die Hard", le réalisateur de "Grease"...), où il leur fut demandé d’imaginer les scénarios d’une attaque terroriste et les répliques à apporter.
C’est ici un des multiples exemples de "storytelling de guerre" du livre.

Et la France? Si "Sarkozy joue sa présidence comme on joue dans un film", les dirigeants sont encore au stade du bricolage en matière de storytelling.

Christian Salmon dévoile ici les rouages d’une « machine à raconter » qui remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes de la société totalitaire. Ce « nouvel ordre narratif » va au-delà de la création d’une novlangue médiatique engluant la pensée : le sujet qu’il veut formater est un individu envoûté, immergé dans un univers fictif qui filtre les perceptions, stimule les affects, encadre les comportements et les idées…

Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS (Centre de recherches sur les arts et le langage), a fondé et animé, de 1993 à 2003, le Parlement international des écrivains. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Tombeau de la fiction (Denoël, 1999), Devenir minoritaire. Pour une politique de la littérature, entretiens avec Joseph Hanimann (Denoël, 2003), Verbicide (Actes Sud, 2007).

Christian entretien vidéo:





Le centre de l'empathie localisé dans le cerveau

Une équipe dirigée par le docteur Cheng Ya-Wei de l'hôpital de la ville de Taipei a réussi, à l'aide d'une magnéto-encéphalographie, à démontrer l'existence d'une activité empathique dans le cerveau humain. L'aire qui contrôle l'empathie serait proche de celle qui contrôle le langage. Cette découverte pourrait aider à la création de traitements pour les patients autistes.

Les recherches ont été effectuées sur les neurones miroirs qui, lorsque l'on voit une action, réfléchissent une action identique dans notre cerveau afin de comprendre son comportement ou son état. L'expérience consistait à montrer deux images différentes, une personne agressée au couteau et une personne épluchant des légumes, à plusieurs patients. A la vue de la première image, leurs cerveaux réagissaient plus fortement qu'à la vue de la seconde. Cette activité a permis de localiser la zone empathique dans le cerveau. Dans le même temps, la même expérience avec des patients autistes a généré des réactions du cerveau beaucoup moins importantes.

Les résultats de ces recherches ont été sélectionnés parmi les dix meilleures publications par l'Organization for Human Brain Mapping en 2007.

Les publicités favorisent l’achat impulsif

Pour promouvoir l’achat « impulsif », tourné vers un plaisir immédiat sans réflexion sur les conséquences à long terme, il suffit de projeter, juste avant le produit ciblé, des images de plats appétissants, de chocolats ou de gâteaux.

À l’Université de Singapour, Xiuping Li a montré à des étudiants des images de desserts ou de paysages naturels, puis leur a donné le choix d’acheter, soit un billet de loterie avec un gain modeste, mais immédiat, soit un ticket procurant un gain plus important, mais différé. Les étudiants ayant vu les images de desserts savoureux optent pour la première solution, contrairement à ceux qui ont vu des images de paysages naturels.

Les plats appétissants donnent envie d’un plaisir rapide, une attitude mentale qui persiste et se transfère sur d’autres objets de consommation. Les étudiants ainsi mis en condition ont préféré systématiquement des offres proposant une satisfaction rapide, mais moins d’intérêt à long terme, par exemple un ticket de cinéma à un bon d’achat dans une librairie.


Sébastien Bohler - est rédacteur de Cerveau & Psycho.

- X. Li et al., The Effects of appetitive stimuli on out-of-domain consumption impatience, in The Journal of Consumer Research, vol. 34, n° 5, p. 649, 2008

2008-04-18

L’informatique en 2020

effacera-t-elle la frontière entre l’homme et l’ordinateur ?


Après s’être interressé, il y a 2 ans, à ce que sera la science en 2020, Microsoft Research a mené depuis 2007 un autre atelier de prospective sur l’évolution des interfaces hommes machines (IHM) et vient de publier une imposante synthèse (.pdf) sur ce que devraient être ces interfaces en 2020.


Selon ArsTechnica, le rapport conclut que, d’ici 2020, la parole et les gestes joueront un rôle capital dans nos relations aux machines. Les influx nerveux commenceront à être utilisés pour contrôler les ordinateurs, notamment pour les handicapés. Le rapport prédit aussi que la connectivité omniprésente permettra aux systèmes informatiques d’agir comme substituts pour la mémoire humaine, et, lorsqu’il seront combinés avec le renforcement de la puissance de traitement, nous permettront de commencer à compléter le raisonnement humain. La traçabilité de nos déplacements et actions ne vont cesser de s’accélérer et de s’élargir, soulevant de graves problèmes de confidentialités. Dans le domaine médical, la frontière entre l’humain et l’ordinateur, via des dispositifs médicaux implantés, tend à s’effacer. Les machines vont-elles devenir humaines ?

D’ici 2020, selon le rapport, nous devrions passer de l’informatique mobile à l’informatique ubiquitaire : chacun d’entre nous aura accès à des milliers d’ordinateurs. Nos activités, enregistrées en continu, seront constamment disponibles. Selon les auteurs, nous arriverons “à la fin de l’éphémère”.

Malgré leur côté très techno-centré, les experts de Microsoft n’en sont pas moins critiques sur les machines qu’ils imaginent. Se référant aux systèmes de navigation par GPS, les auteurs notent que “si les gens sont prêts à obéir bêtement aux instructions données par de simples ordinateurs, nous devrions nous préoccuper d’autant plus de la relation entre hommes et machines, d’autant plus si celle-ci est appelée à devenir plus fréquente, plus complexe.” Pour cela, les auteurs recommandent instamment d’ajouter une cinquième étape aux processus de conception (qui se caractérise en quatre grandes étapes : étudier, concevoir, construire et évaluer) : comprendre. A une époque où les données sont appelées à être stockées et partagées en permanence, les concepteurs devront prendre en compte les valeurs humaines, telles que la confidentialité, la sécurité, la morale, l’éthique…

Pour Richard Harper, coresponsable de cette publication et codirecteur du laboratoire des systèmes socio-numériques chez Microsoft, une conséquence importante de ce travail est de montrer que la recherche sur les nouvelles technologies mobilise des connaissances qui vont bien au-delà de l’informatique. “Ce n’est plus suffisant”, dit-il. “Pour faire une recherche novatrice, nous avons besoin de mobiliser l’expertise de l’ensemble du milieu universitaire. (…) Désormais, les espoirs et les objectifs des gens doivent être incorporés dans le processus de développement de la technologie, et ce dès le début, parce que cela fait une grande différence dans ce que les technologies finissent par devenir.”
La banque américaine Citigroup a enregistré au premier trimestre une perte massive, sous l'effet de colossales dépréciations. Elle évite toutefois le scénario catastrophe prédit par certains analystes, ce qui a rassuré les marchés.

La banque a annoncé vendredi avoir enregistré au 1er trimestre une perte nette de 5,1 milliards de dollars (même montant en francs), contre un bénéfice de 5 milliards un an plus tôt, due à des dépréciations d'actifs d'un total de 12,1 milliards.

Après cette annonce, le titre gagnait près de 6% dans les échanges électroniques d'avant-séance, signe que les marchés approuvent cette douloureuse "opération vérité" sur les comptes du groupe.

Citigroup devient pourtant ainsi la banque américaine la plus touchée par la crise du crédit hypothécaire "subprime", avec des dépréciations totales depuis cet automne de plus de 30 milliards, devant sa consoeur Merrill Lynch qui a porté jeudi son effort total à près de 29 milliards de dollars.

Déjà au 4e trimestre 2007, Citigroup avait essuyé des pertes de 10 milliards après avoir apuré son bilan de 18 milliards d'actifs surévalués.

Selon les analystes, plusieurs milliers voire dizaine de milliers de d'emplois pourraient être supprimés sur un total de 370'000.


Romandie News (ats / 18 avril 2008 17:22)

2008-02-07

Nicolas Sarkozy et Carla Bruni divorcent

Si vous lisez cette note avant le divorce, cela n’a pas forcément le même sens que si vous la lisez après.
En même temps, cette note aura beaucoup plus de lecteurs après le divorce.

Je m’adresse donc à cette majorité pour leur dire que j’ai écrit cette note le 3 Février 2008, soit x mois, ou années, avant le-dit divorce.
Cette information sera donc fausse pendant un certain temps puis, de manière majoritaire, vraie pour l’éternité.

Avec le web, et en l’occurrence avec ce blog, je peux donc écrire sur un fait dont j’ai la conviction qu’il arrivera, et cela avant qu’il n’arrive réellement.

Agissant de la sorte, j’ai de meilleures chance d’avoir l’URL la mieux référencée lorsque le fait en question ce produira.

Et si je prépare bien mon coup, je peux mettre un maximum de publicité en vue du jour J. J’aurai un tel degré d’exposition et d’audience pendant un court laps de temps que je pourrais faire un joli coup financier.

Comment appeler cette pratique ? Je propose l’expression de “bombe d’audience à indexation numérique”.

Je pense que cela ne demande pas beaucoup d’efforts, et que cela peut être rentable. Du moins au début, parce que c’est une sorte de pollution informationnelle, à retardement, de l’index des moteurs de recherche ; comme peut l’être le spam des boites aux lettres.

Toujours est-il que ce ne va pas être évident à déminer pour les moteurs de recherche car, par définition, on aura tendance à démasquer ces bombes à audience qu’une fois quelles qu’elles auront explosé.

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