2008-07-15

comment sortir des logiques guerrières ? Patrick Viveret


En 1998, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) chiffrait à 40 milliards de dollars l’ensemble des dépenses supplémentaires nécessaires pour s’attaquer aux maux les plus scandaleux de l’humanité : la faim, le non-accès à l’eau potable et aux soins de base, les problèmes de logement. Dans le même temps, le PNUD chiffrait trois autres budgets très caractéristiques, dix à vingt fois plus élevés : les 400 milliards de dépenses mondiales de publicité, les 800 milliards de dollars de dépenses mondiales d’armement, les 400 milliards de dollars de l’économie des stupéfiants. Les dépenses d’armement atteignent aujourd’hui 1 200 milliards de dollars et celles de publicité 700 milliards de dollars.

Que gère-on avec les trois budgets démentiels de l’armement, de la toxicomanie et de la publicité ? A la lumière de la thèse de Keynes sur la dépression nerveuse collective, on peut avancer l’idée que, pour l’essentiel, il s’agit de gérer du mal-être. Directement à travers l’armement – de la peur et de la domination – et des stupéfiants. Quant à la publicité, sa caractéristique fondamentale est de permettre à des désirs qui sont de l’ordre de l’être de se transformer en désirs de l’ordre de l’avoir – de la possession ou de la consommation. Les publicitaires savent bien que l’aspiration fondamentale des hommes relève du bien-être et que ce désir fondamental s’exprime dès que nous ne sommes plus en situation de survie biologique et que nous pouvons nous poser la question de la qualité de la vie.

« Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en a pas assez s’il s’agit de satisfaire le désir de possession ».

Cette fameuse phrase prononcée par Gandhi peu de temps avant sa mort est formidablement actuelle. Le désir est illimité, à la différence du besoin, autorégulé par la satisfaction. Comme le démontrent les 225 personnes dont le revenu cumulé équivaut à celui de 2,5 milliards d’êtres humains, chiffre officiel des Nations unies.

Les échecs de l’autorégulation du libéralisme et de la planification du socialisme ont confirmé que d’un point de vue anthropologique nous ne sommes pas seulement des êtres de besoin, mais aussi de désir et d’angoisse. L’énergie du désir est sans commune mesure avec celle du besoin et, seule, nous permet, au sens propre et au sens figuré, de déplacer des montagnes. Si on place ce désir dans l’ordre de l’avoir, cela va engendrer une situation de rareté artificielle considérable entretenue par le fait que le désir de richesse ou de pouvoir des uns ne peut se réaliser qu’au détriment de celui des autres.

Si l’on approfondit cette question en termes de stratégie positive, on en déduit ceci : face à des systèmes de captation de la richesse directement liés à du mal-être et de la maltraitance collective, seules des stratégies de mieux-être, peuvent aboutir à une réussite positive. Les stratégies anti-guerre économique reposent donc aussi sur le fait que les acteurs qui les mettent en œuvre vont s’auto-organiser de manière coopérative pour se donner mutuellement, non seulement des moyens de survie et de lutte, mais aussi des moyens de vivre mieux dans l’ordre de l’être.

Il faut, nous dit avec force Viveret, refuser les logiques sacrificielles qui laissent croire que le bonheur nous serait en quelque sorte interdit étant donné la situation tragique dans laquelle le monde est placé. Au contraire, on ne trouve l’énergie nécessaire aux combats individuels et collectifs que si on se donne les moyens, personnellement et collectivement, d’aller le plus possible vers des stratégies de mieux-être.

Patrick VIVERET



partie 2