104 / Avril - mai 2009
Numéro coordonné par Laurent Bonelli
EXTRAIT
II. Lieux stratégiques
Les récentes réformes du monde universitaire et de la recherche ainsi que les mobilisations qu’elles ont suscitées rappellent que l’enjeu est considérable.
S’agit-il de produire des savoirs immédiatement fonctionnels dans l’entreprise, comme le souhaitent nombre de gouvernants, ou de défendre un projet d’émancipation sociale par la connaissance ? L’énergie des chercheurs doit-elle se concentrer sur des brevets industriels, sur la meilleure rationalisation des tâches dans une institution, ou peut-elle s’employer à montrer les ravages de telle politique de sécurité ou de la concentration des médias ?
Cela vaut également pour le marché de l’édition. Est-il possible de faire exister une pensée qui ne serait pas immédiatement rentable économiquement, car elle reste minoritaire et va contre l’air du temps ? Que valent les connaissances élaborées dans des institutions privées de recherche (les think tanks), dont la principale préoccupation est de défendre les intérêts de leurs bailleurs de fonds ?
Ces questions ne sont pas marginales. La guerre des idées nécessite en effet des infrastructures qui constituent à la fois des lieux de production et les principaux vecteurs de diffusion de la pensée.
Un savant ne devient un intellectuel, disait Jean-Paul Sartre, qu’à partir du moment où il quitte son laboratoire pour élargir son audience au-delà de ses collègues. De là l’importance du contrôle de l’ensemble de ces structures de médiation, qui, par l’enseignement, des livres, des articles ou des notes de synthèse, fournissent à des millions d’individus des grilles de lecture et d’interprétation du monde qui nous entoure.
aussi dans ce numéro un article :
Pour un savoir engagé
Pierre Bourdieu