2024-11-11
"Démocratie et totalitarisme" : un cours de Raymond Aron
Walter Lippmann par Bruno Latour
Le Public fantôme", de Walter Lippmann : la déroute des citoyens
Le citoyen d'aujourd'hui se sent comme un spectateur sourd assis au dernier rang : il a beau être conscient qu'il devrait prêter attention aux mystères qui se déroulent là-bas sur la scène, il n'arrive pas à rester éveillé." Ce "spectateur sourd", écrit le grand commentateur politique américain Walter Lippmann, c'est le citoyen déboussolé de la "grande société" qui succéda, au tournant du XXe siècle, aux anciennes communautés locales. C'est le paysan du Midwest découvrant dans la presse que l'assassinat d'un archiduc à Sarajevo le conduit dans les tranchées d'Europe. C'est peut-être encore l'homme du XXIe siècle, sommé de prendre position sur la crise financière ou la guerre en Afghanistan tout en sachant intimement qu'il n'en a pas les moyens.
Telle est en effet la thèse centrale de ce texte fameux, publié une première fois aux Etats-Unis en 1925 : le monde est devenu trop complexe pour que le "public" puisse s'en emparer, le discuter, se faire une opinion à son propos. Pour que naisse, en somme, le citoyen éclairé imaginé par la démocratie libérale progressiste à laquelle Lippmann lui-même adhéra dans sa jeunesse. Sous l'effet de la mondialisation des échanges économiques et de la complexification des interdépendances politiques, le nombre des "problèmes" qui se posent au public augmente, nous dit Lippmann. Pire : la capacité du public à les résoudre diminue.