2024-01-31

le neveu de Rameau Diderot (1762)




« Le Neveu de Rameau est, à coup sûr, le grand chef-d’œuvre de Diderot, rédigé pour lui seul dans le secret le plus absolu à partir de 1762 et revu jusque vers 1773, “une œuvre dont la vie amalgame une actualité de vingt ans et, à partir du plus grand disparate, atteint le plus parfait naturel” (Jean Fabre). 

L’histoire même de ce texte fascinant est un vrai “roman bibliographique” : publié pour la première fois en 1805 dans une traduction allemande par Goethe (elle-même retraduite en français par De Saur et Saint Geniès), le texte est publié en 1821 au t. XXI des Œuvres de Diderot par Brière d’après une copie venant de la fille de Diderot ; en 1891, enfin, Georges Monval découvre dans une boîte de bouquiniste sur les quais le manuscrit autographe qui permet d’établir le texte correct. Conte, dialogue, satire (le manuscrit porte le titre “Satyre 2de”), ‘Le Neveu de Rameau’ est tout cela à la fois, et bien davantage encore. 

Au Café de la Régence, près du Palais-Royal, Diderot (Moi) rencontre Jean-François Rameau (Lui), personnage authentique, neveu du grand musicien. Entre ce bohème et “M. le philosophe” va s’engager un dialogue plein d’esprit, souvent profond, amer, cocasse ou réaliste, sur les sujets les plus divers. Si Rameau reste très près de son modèle, il ressemble par bien des traits à Diderot lui-même, qui joue à merveille de la dialectique de ses deux personnages sans souci de conclure autrement que par ce “Rira bien qui rira le dernier” lancé par Rameau. Chaque ligne reflète une jubilation de l’écriture ; chaque lecture suscite de nouvelles réflexions et renforce l’admiration. » En Français dans le texte, n° 153.





 « en rappelant le souvenir de ces temps de malheur et de honte pour les lettres, ou nos plus grands écrivains ont été forcés de faire imprimer leurs ouvrages hors de France, et de s'expatrier dans ce qu'ils avaient de plus cher, dans les fruits de leur génie . »

J'ai affaire à des gens qui s'ennuient, et il faut que je les fasse rire. Or c'est le ridicule et la folie qui font rire, il faut donc que je sois ridicule et fou;..

Ce chevalier de La Morlière, qui retape son chapeau sur son oreille, qui porte la tête au vent, qui vous regarde le passant par-dessus son épaule, qui fait battre une longue épée sur sa cuisse, qui a l'insulte toute prête pour celui qui n'en porte point et qui semble adresser un défi à tout venant, que fait-il? tout ce qu'il peut pour se persuader qu'il est un homme de cœur, mais il est lâche. Offrez-lui une croqui- gnole sur le bout du nez, et il la recevra en douceur. Voulez-vous lui faire baisser le ton? élevezle, montrez-lui votre canne, ou appliquez votre pied entre ses fesses. Tout étonné de se trouver un lâche, il vous demandera qui est-ce qui vous l'a appris, d'où vous le savez : lui-même l'ignorait le moment précédent;...., il avait tant fait les mines qu'il croyait la chose.


Et cette femme qui se mortifie, qui visite les prisons, qui assiste à toutes les assemblées de charité, qui marche les yeux baissés, qui n'oserait regarder un homme en face, sans cesse en garde contre la sé- duction de ses sens : tout cela empêche-t-il que son cœur ne brûle, que des soupirs ne lui échappent, que son tempérament ne s'allume, que les désirs ne l'obsèdent, et que son imagination ne lui retrace, la nuit... ? Alors, que devient-elle? qu'en pense sa femme de chambre lorsqu'elle se lève en chemise et qu'elle vole au secours de sa maîtresse qui se meurt? Justine, allez vous recoucher; ce n'est pas vous que votre maîtresse appelle dans son délire. 

Celui qui a besoin d'un protocole n'ira jamais loin; 

les génies lisent peu, pratiquent beaucoup et font d'eux-même



Voilà comme nous sommes tous : nous n'avons dans la mémoire que des mots, que nous croyons entendre par l'usage fréquent et l'application même juste que nous en faisons; dans l'esprit, que de notions vagues!

— Comment se fait-il qu'avec un tact aussi fin, une si grande sensibilité pour les beautés de l'art musical, vous soyez aussi aveugle en morale, aussi insensible aux charmes de la vertu ? Lui. — C'est apparemment qu'il y a pour cela

un sens que je n'ai pas, une fibre qui ne m'a point été donnée, une fibre lâche qu'on a beau

pincer et qui ne vibre pas; ou peut-être que j'ai toujours vécu avec de bons musiciens et de méchantes gens, d'où il est arrivé que mon oreille est devenue très-fine, et que mon cœur est devenu sourd.

p104

.. l'argent des sots est le patrimoine des gens d'esprit p114

Je n'avais pas quinze ans, lorsque je me dis pour la première fois : Qu'as-tu?... Tu rêves, et à quoi rêves-tu ? Que tu voudrais bien avoir fait ou faire quelque chose qui excitât l'admiration de l'univers. .p117

A quoi que ce soit que l'homme s'ap- plique, la nature l'y destinait.p121

flatteurs, des courtisans, des valets et des gueux..p123