2024-03-17

Un nouveau totalitarisme, celui du marché


Un article publié dans la revue Spirale, no 176, janvier-février 2001, p. 16.

Un " totalitarisme" qui exerce aujourd’hui son emprise, dans des sociétés qui se réclament pourtant de la démocratie, est celui qui veut paradoxalement justifier son existence au nom d’une plus grande liberté, celle du marché, mais qui ne laisse en réalité d’autre choix que de s’intégrer à la logique d’une pensée unique, d’un mode unique d’agir, une logique qui s’est infiltrée dans nos vies de manière tacite sous la forme d’une guerre non déclarée, qui enchaîne les populations et lie leur sort à la santé du capital, à la prospérité des investissements. 

Cette logique est celle du néolibéralisme, qui s’est implanté à partir de la fin des années 1970 en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, pour se généraliser à l’échelle du monde entier au cours des deux décennies suivantes et régner dès lors en maître absolu, soumettant toute l’activité économique et sociale aux seules lois du marché. Il s’agit bien d’un retour au libéralisme après une période de quelque quatre décennies qui avaient vu triompher l’interventionnisme étatique. 

Mais ce libéralisme est d’un type nouveau dans la mesure où le champ de son déploiement est celui d’une économie « globale » entièrement mondialisée où le principe de la liberté des échanges a été poussé à un point tel que les États en sont arrivés à confier aux marchés et aux institutions internationales qui en assurent la domination intégrale, des pouvoirs supranationaux qui priment sur la souveraineté des États et le contrôle de la démocratie parlementaire sur des enjeux majeurs de la vie sociale, désormais décidés par les impératifs du profit et de la compétitivité internationale.

Le totalitarisme d’aujourd’hui est celui de la domination totale par le marché. L’étendue de son pouvoir, en voie d’achèvement au niveau mondial depuis la chute de l’économie planifiée dans l’ex-Union soviétique et ses satellites d’Europe centrale et orientale, ne s’arrête pas à la sphère de l’économie. Le totalitarisme du marché poursuit son action dirigée vers la transformation complète de l’individu en homo oeconomicus, en individu qui penserait tout en termes économiques, comme le soutient depuis des décennies la science économique officielle fondée sur le principe de l’individualisme méthodologique. 

Sans sombrer dans le catastrophisme, on ne peut écarter aujourd’hui, avec les progrès phénoménaux du génie génétique et leur appropriation privée par les entreprises multinationales dans un monde qui n’obéit qu’aux lois du marché et du profit, l’hypothèse d’un éventuel recours au clonage généralisé et aux mutations génétiques pour achever, dans une version moderne d’eugénisme, ce modelage de l’individu aux besoins de l’économie.

Des conditions propices à la domination totale

Le chômage croissant, la mise à sac des programmes publics de protection sociale, la destruction de l’emploi stable auquel on substitue l’emploi contractuel et à temps partiel, le recul de la syndicalisation, l’accroissement des inégalités à l’intérieur des pays et entre pays riches et pays pauvres, l’insécurité, la misère et le désarroi social qui en résultent constituent le processus même de la constitution de la société atomisée, condition de sa domination totale et terrain fertile à l’émergence d’une forme extrême de cette domination.

 La profilération d’une multitude de groupes racistes, xénophobes, néofascistes et néonazis dans un grand nombre de pays et les récents succès électoraux de partis politiques d’extrême droite démontrent qu’il ne s’agit pas d’une simple hypothèse d’école. La regrettable décision de l’Union européenne, prise en septembre 2000, de lever les sanctions imposées à l’Autriche à la suite de l’entrée au gouvernement de ce pays en février 2000 du FPÖ (Freiheitlische Partei Österreichs), parti d’extrême droite dirigé par le raciste Jörg Heider, en dit long sur la détermination des quatorze « démocraties » européennes à prendre les moyens qui s’imposent pour barrer la route à une remontée de l’extrémisme de droite.

Venant de gouvernements dirigés par des partis de droite, une telle attitude n’est pourtant pas aussi inattendue à la lumière de l’histoire. Il n’est en effet un secret pour personne, par exemple, comme le rappelle Hobsbawm, que le conservateur britannique Winston Churchill cachait mal sa sympathie à l’égard de Benito Mussolini et de son régime fasciste et que sa motivation à se présenter peu après comme le chef de file de la lutte anti-fasciste n’était motivée que par la menace réelle que représentait pour la Grande-Bretagne la puissance montante de l’Allemagne nazie. On sait par ailleurs que les « démocraties » européennes qu’étaient la France et la Grande-Bretagne, voyant en Hitler le fer de lance de la croisade antibolchevique, n’avaient pas hésité à s’allier à Hitler et Mussolini en signant en 1938 le traité de Münich, qui laissait Hitler libre d’annexer la Tchécoslovaquie et lui fournissait le tremplin d’une attaque prochaine contre l’URSS.

Venant de gouvernements « socialistes », social-démocrates ou travaillistes comme les gouvernements français, allemand et britannique, dirigés par des partis s’affichant comme partisans d’une « troisième voie », celle du partenariat, la banalisation de l’entrée du FPÖ au sein du gouvernement autrichien est-elle moins inattendue?  La réponse à cette question s’impose d’elle-même lorsqu’on se souvient que le Parti socialiste autrichien, déjà protagoniste de la « troisième voie » dans les années soixante-dix, a joué un rôle clef pour contribuer à donner une crédibilité politique au FPÖ d’extrême droite et à favoriser ainsi sa progression, en gouvernant en coalition avec lui de 1983 à 1986.

Dans un article intitulé « Le fascisme libéral » publié en août 2000 dans le Monde diplomatique, le Sous-commandant Marcos, dirigeant de l’Armée zapatiste de libération nationale du Chiapas au Mexique exprime cette préoccupation dans les termes suivants :

La fameuse « troisième voie » ne s’est pas seulement révélée, ici et là, fatale pour la gauche, mais peut constituer, par endroits, une rampe de lancement pour le néofascisme.

Ces rappels font ressortir avec une grande acuité les dangers qui se profilent aujourd’hui et les moyens absolument nécessaires à mettre en œuvre pour y faire échec, dont le principal consiste incontestablement à contrer le processus de l’atomisation sociale par l’action organisée unitaire et la mobilisation sur une base de classe, en toute indépendance, pour la défense des intérêts de la grande majorité de la population.

Texte de : Louis Gill, économiste

Professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal

«L’atomisation sociale : condition de la domination totale ». Un article publié dans la revue Spirale, no 176, janvier-février 2001, p. 16. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 janvier 2005 de diffuser ce texte.] 

Lien 

http://classiques.uqac.ca


2024-03-10

Techno politique Asma Mahla

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  La Grande Librairie février 2024

"Intelligence artificielle, réseaux sociaux, implants cérébraux, satellites, métavers... Le choc technologique sera l'un des enjeux clés du xxie siècle et les géants américains, les « BigTech », sont à l'avant-garde. Entités hybrides, ils remodèlent la morphologie des États, redéfinissent les jeux de pouvoir et de puissance entre nations, interviennent dans la guerre, tracent les nouvelles frontières de la souveraineté. S'ils sont au coeur de la fabrique de la puissance étatsunienne face à la Chine, ils sont également des agents perturbateurs de la démocratie. De ces liens ambivalents entre BigTech et « BigState » est né un nouveau Léviathan à deux têtes, animé par un désir de puissance hors limites. Mais qui gouverne ces nouveaux acteurs privés de la prolifération technologique ? A cette vertigineuse question, nous n'avons d'autre choix que d'opposer l'innovation politique !"

Asma Mhalla, docteure en études politiques et chercheure au LAP (Laboratoire d'Anthropologie Politique) de l'EHESS/CNRS, lance un cri d'alerte dans son dernier ouvrage. Dans une thèse audacieuse, elle affirme que les technologies de l'hypervitesse, qu'elles soient civiles ou militaires, transforment chaque individu en soldat, que nous le voulions ou non. Selon elle, nos cerveaux sont devenus le champ de bataille ultime de cette ère technologique. Cette réflexion interpelle sur l'avenir de la démocratie et du nouvel ordre mondial.

Enseignante à Sciences Po et Polytechnique, Asma Mhalla conseille également les institutions dans leur politique publique technologique. 
Face à la montée en puissance des technologies dites de l'hypervitesse, Asma Mhalla appelle à une prise de conscience urgente et offre ainsi une contribution majeure à la réflexion contemporaine sur les relations entre technologie, pouvoir et démocratie.

    Date de parution 12/02/2024

    19.90 € TTC. / 288 pages

     EAN 9782021548549

2024-02-25

Le peuple est-il réellement le souverain en démocratie ?

 


SOURCE https://www.cersp.eu/democratie/le-peuple



La majorité de la population peut-elle exercer le pouvoir ?

La première idée qui fait consensus sur les ronds-points de France est qu’en démocratie le pouvoir doit obligatoirement être exercé par la majorité de la population. L’inconvénient c’est que cette idée relève de la mythologie. C’est une banalité que de le rappeler mais il n’est pas possible de réunir 67 millions de Français sur la place publique à chaque fois qu’une décision doit être prise. Il n’existe aucun régime politique dans le monde où les masses populaires se gouvernent directement elles-mêmes. Tout régime politique, y compris la démocratie, est toujours gouverné par un petit nombre d’hommes, par une minorité. Le « gouvernement du peuple par le peuple » n’est tout simplement pas possible dans des sociétés nombreuses, modernes et complexes comme sont les nôtres.


La délégation du pouvoir

La démocratie ne peut être que représentative : il y a une dissociation entre le détenteur du pouvoir, le peuple, et celui qui l’exerce réellement, la minorité dirigeante. La souveraineté populaire est donc une simple fiction juridique. La population d’un pays accepte de déléguer son pouvoir souverain à des hommes et des femmes qui en retour vont exercer le pouvoir en son nom et pour son compte. Les Parlementaires sont de cette manière les représentants du peuple. C’est ce que le député Jean-Luc Mélenchon a probablement voulu exprimer dans sa célèbre réplique « La République, c’est moi ! » face aux policiers qui accompagnaient un juge d’instruction venu perquisitionner les locaux de La France Insoumise.


Gouverner au nom du peuple n’est cependant pas l’apanage des seules démocraties. La plupart des minorités dirigeantes violentes qui ont pris le pouvoir depuis le XXème siècles et instauré des régimes autoritaires prétendent elles-aussi que leur pouvoir est exercé au nom du peuple (l’Algérie, la Chine, la Russie, le Venezuela, etc.).


Ce qui différencie les démocraties de tous les autres régimes politiques, c’est que la minorité qui y exerce le pouvoir sait qu’elle agit dans un cadre constitutionnel instaurant des contre-pouvoirs qui l’empêchent d’exercer un pouvoir absolu. En d’autres termes, il faut, selon la formule consacrée par Montesquieu, que « le pouvoir arrête le pouvoir " [1]. Tel est l’essence même de la démocratie.


Le pouvoir doit-il refléter la volonté de la majorité du peuple ?

La deuxième idée qui semble faire consensus chez les « Gilets Jaunes » est qu’en démocratie le pouvoir doit obligatoirement refléter les sentiments du peuple, ou du moins la volonté de la majorité du peuple. Il ne s’agit pas d’une idée fausse comme la première mais d’un courant de pensée qui trouve son fondement dans le Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, du moins dans l’interprétation qui en a été donnée au moment de la Révolution française.


L’idée maîtresse de Jean-Jacques Rousseau est que le pouvoir doit être l’expression du peuple, considéré comme un ensemble cohérent. Le peuple – ou ceux qui disent qu’ils représentent le peuple – veut avoir tous les pouvoirs. La souveraineté populaire aboutit dans ce cas de figure à la toute-puissance de la majorité populaire.


C’est de ce courant de pensée que sont sortis les Robespierre de l’Histoire mais également la Commune de Paris. Les principales revendications institutionnelles formulées par les « Gilets Jaunes » ne sont qu’une simple traduction de l’idée rousseauiste selon laquelle l’origine populaire du pouvoir doit primer sur tout le reste : assemblée constituante, démocratie directe sans aucun filtre des corps intermédiaires, référendum permettant aux citoyens de proposer eux-mêmes les lois, révocation ad nutum des gouvernants, etc.


Vers une tyrannie de la majorité 

L’idée quasi mystique selon laquelle la souveraineté populaire ne serait réalisée que lorsque les gouvernants se bornent, à chaque instant, à exprimer les désirs de la masse ou de la majorité de la population est une idée qui peut aboutir à faire basculer la démocratie représentative dans un autre régime. Il n’est d’ailleurs pas anormal de constater que ce courant rousseauiste en France est aujourd’hui porté par le Rassemblement National et La France Insoumise, c’est-à-dire par des partis politiques situés aux deux extrémités de l’échiquier politique français et qui se présentent tous les deux en rivaux de la démocratie libérale. Tant Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon, qui font de la volonté de la majorité populaire le point cardinal de leur action politique, savent très bien que, poussé à son extrême, le principe de souveraineté populaire ainsi défini aboutit indubitablement à ce que l’on sorte du régime démocratique pour entrer dans quelque chose d’autre.


Une autre définition de la souveraineté populaire

Mais il existe un courant de pensée opposé à la tendance égalitaire exprimée dans le Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau et qui vient définir la souveraineté populaire autrement. Cette tendance plus libérale, fondée sur les libertés individuelles, se trouve exprimée dans la philosophie d’un penseur comme John Locke [2] pour qui l’essentiel est de garantir les droits des personnes contre l’arbitraire du pouvoir. Pour ce courant, l’idée extraordinairement révolutionnaire du principe de souveraineté populaire dans une démocratie est l’idée selon laquelle la volonté de la majorité doit être constitutionnellement encadrée afin qu’elle ne puisse pas déboucher sur la tyrannie de la majorité, sur la dictature du peuple. Albert Camus avait à ce titre une très jolie formule pour définir ce qu’était la démocratie : « la démocratie ce n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité ».


A la question « le peuple exerce-il réellement le pouvoir dans une démocratie » la réponse qu’il convient d’apporter est clairement négative comme du reste pour tous les autres régimes politiques que compte la planète. Mais la spécificité de la démocratie, ce qui la différencie de tous les autres régimes, c’est qu’elle fixe des règles du jeu autorisant les citoyens d’un pays à déléguer leur souveraineté à une minorité dirigeante tout en assurant que cette délégation ne se transformera ni en tyrannie de la majorité, ni en pouvoir absolu de la minorité. En cela, la démocratie représentative, même si elle demeure imparfaite, semble être l’une des traductions les plus fidèles que l’on puisse concevoir de l’idée de souveraineté populaire.


On est bien loin des ronds-points.


[1] Montesquieu, "De l'Esprit des Lois" (1748) est un des pères fondateurs de la philosophie politique.


[2] John Locke, "Second Traité du Gouvernement civil" (1690) est un des fondateurs du libéralisme politique.

qu'est ce qu'un peuple ?


Conférence de Francine Demichel, Professeure émérite de droit public, réalisée le mercredi 23 novembre 2016 dans le cadre de la programmation du Centre Culturel de l'Université de Corse.

elle fut présidente de l'université Paris 8, et directrice de l'enseignement supérieur au ministère de l’éducation nationale entre 1998 et 2002. 


Dictionnaire de l’Académie française

https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9P1867

I. PEUPLE

 nom masculin

Étymologie :ixe siècle, poblo ; xe siècle, pople ; xiie siècle, pueple ; xiiie siècle, peuple. Issu du latin populus, « peuple, ensemble des citoyens ».
I. Vaste ensemble humain considéré en fonction de réalités géographiques et historiques ou des liens divers qui peuvent unir ses membres.

1.  Société d’individus vivant sur un même territoire et partageant une histoire, des coutumes, une culture communes. Les croyances, les mythes, les mœurs d’un peuple.

         2.  Ensemble de personnes qui se sentent unies tantôt par l’histoire, tantôt par une culture, une langue ou une religion. 

II. Le corps de la nation.

1.  L’ensemble de la population d’un État. 
2.  Ensemble de ceux qui, dans un État, jouissent des droits civils et politiques.

 III. Ensemble de ceux qui, dans la société, n’appartiennent pas aux classes culturellement ou économiquement avantagées.

Les tribuns du peuple ou de la plèbe. La misère, les aspirations du peuple. L’Ami du peuple, surnom de Marat et titre de son journal. Loc. Un homme, une femme, un enfant du peuple. Le bon peuple, les gens simples. Le petit peuple, le menu peuple, les gens de la condition la plus modeste. Péj. Le bas peuple, la partie la plus déshéritée de la société.

▪  Adjectivement (invariable dans cet emploi). Propre aux gens du peuple et, péj., commun, vulgaire, sans distinction. Une allure, des manières peuple. Être peuple. Il a adopté cette façon de parler pour faire peuple.

ARTICLE 3.

La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. ..Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.


Le peuple semble échapper à la possibilité d’une définition. Se confondant pour certains avec la nation, pour d’autres à une classe sociale, ou encore à un combat contre l’État, il faut peut-être, à défaut de le définir, étudier ce passage par lequel la multitude devient peuple.

radiofrance/podcasts/serie-la-notion-de-peuple

Dans ce premier épisode, Géraldine Muhlmann, avec Gérard Bras et Yohan Dubigeon, se demandent comment agit un peuple. On part de cette observation : est souvent bien toléré, même estimé, le peuple électeur, celui juste deviné derrière les institutions qui le représentent, le "peuple-fiction" comme dirons les plus caustiques. En revanche, le peuple agissant, qui se montre de manière certes partielle, mais tangible, est beaucoup moins apprécié dans l'histoire de la pensée politique et de la philosophie. Populas, foule, multitude vulgaire et informe, les mots ne manquent pas pour en parler d'une manière péjorative. Faut-il croire que beaucoup est accordé au peuple, mais pas d'agir ? Ou faut-il croire que dans l'action, le peuple n'est pas toujours au meilleur de lui-même ?

Le ou les peuple(s)

 Mais qu'est-ce que le peuple exactement ? Constitue-t-il une entité unifiée par-delà la pluralité des individus ? Peut-il apparaître "en personne" pour parler comme le philosophe anglais du XVIIe siècle Thomas Hobbes, ou bien n'existe-t-il politiquement qu'à travers ses représentants, l'unité de ces derniers donnant seulement une unité aux représentés, comme disait encore Hobbes ? La bataille philosophie est rude à propos de la notion de peuple.

Il n'est pas possible de définir de façon essentielle et figée le "peuple". En effet, Gérard Bras précise qu'une telle définition "trace des frontières" et que, "sous l'apparence de l'inclusion, elle contribue à exclure". Le concept de peuple sert à "faire une enveloppe, un groupe, en homogénéisant les éléments". Ceux qui n'ont pas la qualité prérequis pour être inclus dans le groupe en sont donc exclus. Afin de ne pas en faire une entité substantielle, Gérard Bras suggère, à la suite d'Etienne Tassin"d'éviter de parler du peuple au singulier et de toujours parler des peuples au pluriel. Il y a toujours une pluralité et ce qui gêne la philosophie politique depuis Platon, c'est qu'on n'arrive jamais à unifier, à homogénéiser le peuple. Il y a toujours des tensions entre différentes manières d'être peuple."

L'omniprésence du terme "populisme"

Le problème posé par le terme "populisme" ne peut pas être contourné parce qu'il est omniprésent aujourd'hui sur la scène politique. Yohan Dubigeon souligne que ce terme est effectivement problématique an tant qu'il garde "toute une ambiguïté qui est totalement volontaire tant que de la part de ses détracteurs que de la part de ceux qui l'utilisent de manière plutôt méliorative". Il explique cette apparition du terme populisme aujourd'hui dans la scène publique "par une rupture d'une forme de bloc historique" qui concerne notamment "la partie gauche de l'échiquier politique".

Pendant très longtemps, précise-t-il, 

"la gauche au sens large, on peut dire la social-démocratie, faisait bloc entre deux grandes questions : la question sociale, c'est-à-dire la question des inégalités, de la répartition des richesses, et ce qu'on pourrait nommer, de manière imparfaite, le champ des questions culturelles ou du progressisme culturel, à savoir les questions de racisme, de genre ou encore d'écologie. Puis, à partir des années 1980, la gauche a commencé à laisser de côté la question sociale pour se concentrer essentiellement sur les questions de progressisme culturel. Cela s'explique par un malaise de la social-démocratie qui se convertit aux théories socio-économiques du néolibéralisme et qui assume de tourner le dos aux classes populaires pour se tourner plutôt vers les classes moyennes, voire les classes aisées. De ce point de vue-là, la gauche laisse un boulevard récupéré par les "populistes" aujourd'hui, mais les "populistes" d'extrême droite comme d'extrême gauche. C'est ce qui permet par exemple au Rassemblement National de se dire les représentants du peuple, des classes populaires, contre les élites."

Avec

  • Gérard Bras Professeur de philosophie en classes préparatoires, ancien directeur de programme au Collège International de Philosophie et Président de l’Université Populaire des Hauts-de-Seine

  • Yohan Dubigeon Politiste spécialiste des enjeux de démocratie radicale et d'éducation populaire et maître de conférence à l'Université Jean Monnet de Saint-Etienne


2024-02-06

Qu’attend-on des représentants du peuple en démocratie ?

 


lien emission 



Pour en parler

Samuel Hayat, chercheur en science politique au CEVIPOF (CNRS / Sciences Po).

En lien avec le sujet de l'émission, il a notamment publié :

Erwan Sommerer, maître de conférences en Science politique à l'Université d'Angers, et membre du Centre Jean Bodin. Ses travaux portent sur le lien entre pluralisme, conflits et liberté en période de crise politique et institutionnelle, notamment sous la Révolution française. Il est également membre du collectif de rédaction de la revue Réfractions, qui fête ses 25 ans d'existence cette année.

En lien avec le sujet de l'émission, il a notamment publié :

2024-01-31

le neveu de Rameau Diderot (1762)




« Le Neveu de Rameau est, à coup sûr, le grand chef-d’œuvre de Diderot, rédigé pour lui seul dans le secret le plus absolu à partir de 1762 et revu jusque vers 1773, “une œuvre dont la vie amalgame une actualité de vingt ans et, à partir du plus grand disparate, atteint le plus parfait naturel” (Jean Fabre). 

L’histoire même de ce texte fascinant est un vrai “roman bibliographique” : publié pour la première fois en 1805 dans une traduction allemande par Goethe (elle-même retraduite en français par De Saur et Saint Geniès), le texte est publié en 1821 au t. XXI des Œuvres de Diderot par Brière d’après une copie venant de la fille de Diderot ; en 1891, enfin, Georges Monval découvre dans une boîte de bouquiniste sur les quais le manuscrit autographe qui permet d’établir le texte correct. Conte, dialogue, satire (le manuscrit porte le titre “Satyre 2de”), ‘Le Neveu de Rameau’ est tout cela à la fois, et bien davantage encore. 

Au Café de la Régence, près du Palais-Royal, Diderot (Moi) rencontre Jean-François Rameau (Lui), personnage authentique, neveu du grand musicien. Entre ce bohème et “M. le philosophe” va s’engager un dialogue plein d’esprit, souvent profond, amer, cocasse ou réaliste, sur les sujets les plus divers. Si Rameau reste très près de son modèle, il ressemble par bien des traits à Diderot lui-même, qui joue à merveille de la dialectique de ses deux personnages sans souci de conclure autrement que par ce “Rira bien qui rira le dernier” lancé par Rameau. Chaque ligne reflète une jubilation de l’écriture ; chaque lecture suscite de nouvelles réflexions et renforce l’admiration. » En Français dans le texte, n° 153.





 « en rappelant le souvenir de ces temps de malheur et de honte pour les lettres, ou nos plus grands écrivains ont été forcés de faire imprimer leurs ouvrages hors de France, et de s'expatrier dans ce qu'ils avaient de plus cher, dans les fruits de leur génie . »

J'ai affaire à des gens qui s'ennuient, et il faut que je les fasse rire. Or c'est le ridicule et la folie qui font rire, il faut donc que je sois ridicule et fou;..

Ce chevalier de La Morlière, qui retape son chapeau sur son oreille, qui porte la tête au vent, qui vous regarde le passant par-dessus son épaule, qui fait battre une longue épée sur sa cuisse, qui a l'insulte toute prête pour celui qui n'en porte point et qui semble adresser un défi à tout venant, que fait-il? tout ce qu'il peut pour se persuader qu'il est un homme de cœur, mais il est lâche. Offrez-lui une croqui- gnole sur le bout du nez, et il la recevra en douceur. Voulez-vous lui faire baisser le ton? élevezle, montrez-lui votre canne, ou appliquez votre pied entre ses fesses. Tout étonné de se trouver un lâche, il vous demandera qui est-ce qui vous l'a appris, d'où vous le savez : lui-même l'ignorait le moment précédent;...., il avait tant fait les mines qu'il croyait la chose.


Et cette femme qui se mortifie, qui visite les prisons, qui assiste à toutes les assemblées de charité, qui marche les yeux baissés, qui n'oserait regarder un homme en face, sans cesse en garde contre la sé- duction de ses sens : tout cela empêche-t-il que son cœur ne brûle, que des soupirs ne lui échappent, que son tempérament ne s'allume, que les désirs ne l'obsèdent, et que son imagination ne lui retrace, la nuit... ? Alors, que devient-elle? qu'en pense sa femme de chambre lorsqu'elle se lève en chemise et qu'elle vole au secours de sa maîtresse qui se meurt? Justine, allez vous recoucher; ce n'est pas vous que votre maîtresse appelle dans son délire. 

Celui qui a besoin d'un protocole n'ira jamais loin; 

les génies lisent peu, pratiquent beaucoup et font d'eux-même



Voilà comme nous sommes tous : nous n'avons dans la mémoire que des mots, que nous croyons entendre par l'usage fréquent et l'application même juste que nous en faisons; dans l'esprit, que de notions vagues!

— Comment se fait-il qu'avec un tact aussi fin, une si grande sensibilité pour les beautés de l'art musical, vous soyez aussi aveugle en morale, aussi insensible aux charmes de la vertu ? Lui. — C'est apparemment qu'il y a pour cela

un sens que je n'ai pas, une fibre qui ne m'a point été donnée, une fibre lâche qu'on a beau

pincer et qui ne vibre pas; ou peut-être que j'ai toujours vécu avec de bons musiciens et de méchantes gens, d'où il est arrivé que mon oreille est devenue très-fine, et que mon cœur est devenu sourd.

p104

.. l'argent des sots est le patrimoine des gens d'esprit p114

Je n'avais pas quinze ans, lorsque je me dis pour la première fois : Qu'as-tu?... Tu rêves, et à quoi rêves-tu ? Que tu voudrais bien avoir fait ou faire quelque chose qui excitât l'admiration de l'univers. .p117

A quoi que ce soit que l'homme s'ap- plique, la nature l'y destinait.p121

flatteurs, des courtisans, des valets et des gueux..p123


2023-12-29

Histoire des idées de l’Antiquité à nos jours (Francis Collet)



 Cette histoire des idées présente plus de 100 grands courants, plus de 200 auteurs, et propose 86 fiches de lecture consacrées aux textes fondamentaux. Elle se veut didactique, claire et concise, pour rendre accessibles, sans les trahir, les grands débats qui ont animé la culture occidentale.

Elle se veut incitation à la réflexion en soulignant la fécondité des problématiques de tous ordres qui animent la vie intellectuelle des présocratiques à nos jours. Elle se veut surtout quête de sens, de cohérence, en s’articulant autour des interrogations « Quoi ? », « Comment ? », « Pourquoi ? », « Pour Quoi ? ».

Cet ouvrage montre que l’histoire des idées est aussi celle des sociétés et des valeurs qui les fondent. Il doit permettre d’éclairer les questions essentielles qui se posent à tout esprit aujourd’hui.

Auteur : Francis Collet 
Né(e) à : Nieppe , 1947

Agrégé hors-classe de lettres modernes, Francis Collet est docteur en sciences de l'éducation.
Il a été longtemps professeur agrégé de lettres au Collège de Marcq et à l'Université Catholique de Lille où il donnait, entre autres, des cours de culture générale.
Il est chevalier dans l'ordre des Palmes académiques.


2023-11-23

Les pays membres la Cour Internationale


123 pays sont États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Parmi eux, 33 sont membres du groupe des États d'Afrique, 19 sont des États d’Asie et du Pacifique, 18 sont des États d'Europe Orientale 28 sont des États d'Amerique Latine et des Caraïbes, et 25 sont membres du Groupe des États d'Europe occidentale et autres États.

lien source 23.nov.23 :

https://asp.icc-cpi.int/fr/states-parties 




2023-11-08

Sionisme ?

 Ce mot de sionisme est devenue un anathème pour certain, un flambeau pour d’autres. Mais ce mot a un long passé. Il a changé de sens, a été instrumentalisé, dévoyé, s’est chargé des drames de son histoire plus que bicentenaire. 

Thomas Legrand et son invité plongent dans les arcanes de cet « isme », posent cette question déflagratoire : l’antisionisme est-il une forme d’antisémitisme ? comme le disent certains au sommet de l’Etat et interrogent ce terme à multiples facettes, ce vocable qui a créé tant d’espoirs et de craintes pour tenter de comprendre ce qui se joue en ce moment en Israël et en Palestine.

intervenant

Vincent Lemire

Historien, maître de conférences en histoire contemporaine, spécialiste de l'histoire du conflit israélo-palestinien, et de la ville de Jérusale m

lien émission https://www.radiofrance.fr

2023-11-07

La fabrique du crétin digital

 

EXTRAIT
La Fabrique du crétin digital
Les dangers des écrans pour nos enfants

Michel Desmurget (vidéo) 

La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).

Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.

« Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle », estime Michel Desmurget. Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d'un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !

Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm. Il est l’auteur de TV Lobotomie (Max Milo, 2011) et de L’Antirégime (Belin, 2015), qui ont tous deux remporté un large succès public.

Sciences humaines
Essais
Date de parution 29/08/2019
22.00 € TTC
432 pages
EAN 9782021423310

2023-10-24

Le mythe fondateur de Jérusalem (2016)


video extraite du colloque

Si c'était Jérusalem / Conférences introductives 2016 https://akadem.org/sommaire/colloques/si-c-etait-jerusalem/conferences-introductives-11-05-2016-80543_4667.php?positiontemps=5313

Marc-Alain Ouaknin - rabbin, docteur en philosophie et professeur des Universités (Bar-Ilan)

Marc-Alain Ouaknin est né à Paris en 1957. Il est rabbin, docteur en philosophie et professeur des Universités (Bar-Ilan). Élève d’Emmanuel Lévinas, il consacre ses recherches à la phénoménologie, en dialogue avec les textes de la tradition juive, le Talmud, la Cabale et le Hassidisme.  Dans le cadre du Projet Targoum fondé et dirigé par Françoise-Anne Ménager, et en partenariat avec la Fondation Moses Menselssohn, il présente les résultats de ses recherches concernant une nouvelle traduction de la Bible hébraïque dans un double enseignement au MJLF: “l’Atelier Targoum” . Ses recherches font l’objet de publications traduites en plus de trente langues.  Depuis 2013, il produit avec Françoise-Anne Ménager l'émission 'Talmudiques' tous les dimanches matins à 9h15 sur France Culture 


« L’Atelier du traduire »Marc-Alain Ouaknin

Quelques remarques sur une nouvelle traduction de la Bible

https://journals.openedition.org/tsafon/1913?lang=en