2025-11-01

« Je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas » Socrate

 

« Je sais que je ne sais rien » : Le texte original complet de Socrate

« Je sais que je ne sais rien » : Le texte original complet de Socrate

Découvrez le contexte authentique et la suite essentieuse de la célèbre déclaration socratique

La phrase la plus célèbre et la plus mal comprise

« Je sais que je ne sais rien » est sans doute la citation philosophique la plus connue au monde, attribuée à Socrate. Pourtant, cette phrase est presque toujours citée de manière tronquée, privant le public de sa signification profonde et de sa portée philosophique réelle.

Le paradoxe : Socrate n'a jamais écrit « Je sais que je ne sais rien » tel quel. Cette formulation est une synthèse de ses propos rapportés par Platon dans l'Apologie de Socrate.

Le contexte historique : Le procès de Socrate

Image: Socrate lors de son procès - 399 av. J.-C.

Socrate face au tribunal d'Athènes - Illustration historique

En 399 avant J.-C., Socrate, alors âgé de 70 ans, est accusé de « ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité, d'introduire de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse ». Le philosophe doit se défendre devant un tribunal de 501 citoyens athéniens.

L'enjeu du procès : Il ne s'agit pas simplement d'un procès religieux, mais d'un conflit entre la tradition et la philosophie naissante. La condamnation à mort de Socrate marquera un tournant dans l'histoire de la pensée occidentale.

Le texte original complet : L'Apologie de Socrate

Voici le passage essentiel de l'Apologie de Socrate où Platon rapporte les paroles de son maître expliquant sa démarche philosophique :

Extrait de l'Apologie de Socrate (21a-23b)

« [...] Un jour, donc, Chéréphon se rendit à Delphes, et il osa consulter l'oracle pour savoir s'il existait un homme plus sage que moi. La Pythie lui répondit qu'il n'y en avait pas.

Lorsque j'appris la réponse, je me dis en moi-même : "Que veut donc dire le dieu ? Quel sens caché renferment ses paroles ? Car je n'ai conscience d'être sage ni peu ni beaucoup. Que signifie donc cette déclaration qu'il n'existe personne de plus sage que moi ? Il ne ment certainement pas, cela ne lui est pas permis."

Pendant longtemps, je demeurai dans l'incertitude sur le sens de l'oracle. Enfin, bien à contre-cœur, je me mis en quête de l'expliquer de la façon suivante.

Je me rendis chez un de ceux qui passent pour sages, certain qu'en tout cas, si c'était possible, je le convaincrais d'erreur et pourrais dire à l'oracle : "Voilà un homme plus sage que moi, et pourtant tu as dit que j'étais le plus sage."

En examinant cet homme — je n'ai pas besoin de le nommer, c'était un homme politique — il me sembla qu'aux yeux de beaucoup de gens, et surtout aux siens propres, il paraissait sage, mais qu'en réalité il ne l'était pas. Je m'efforçai alors de lui démontrer qu'il n'était pas sage, bien qu'il le crût. De là, je m'attirai sa haine, ainsi que celle de plusieurs assistants.

En m'éloignant, je raisonnai ainsi en moi-même : "Je suis plus sage que cet homme. Il se peut que ni lui ni moi ne sachions rien de vraiment beau et de vraiment bon ; mais lui, il croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien ; tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas."

Je passai ensuite à un autre, à un de ceux qui paraissaient encore plus sages que le premier, et je trouvai la même chose. Là encore, je m'attirai la haine de cet homme et de beaucoup d'autres.

[...] C'est en parcourant ainsi successivement tous ceux qui avaient la réputation de savoir quelque chose, et en faisant ce dont je vous ai parlé, je m'aperçus, à mon déplaisir et à mon effroi, que je me faisais des ennemis en grand nombre.

Cependant, je crus qu'il fallait préférer aux autres considérations l'intérêt du dieu. Pour trouver le vrai sens de l'oracle, il me fallait donc m'adresser à tous ceux qui avaient la réputation de savoir quelque chose.

Et, par le chien ! — car il faut vous parler franchement —, la vérité, à ce qu'il me semble, la voici : ceux qui avaient la plus grande réputation me parurent à peu près les plus dénués de sagesse, tandis que d'autres, qu'on regardait comme inférieurs, se montrèrent des hommes plus sensés.

Il faut vous raconter toutes mes pérégrinations, pareilles aux travaux d'Hercule, et entreprises uniquement pour vérifier l'infaillibilité de l'oracle. Après les hommes politiques, je m'adressai aux poètes, aux auteurs de tragédies et de dithyrambes, et à tous les autres, me flattant de les prendre en flagrant délit d'ignorance, sur leur propre terrain.

Je leur demandai le sens de leurs œuvres les plus travaillées, espérant profiter de leurs lumières. J'ai honte, Athéniens, de vous dire la vérité ; cependant, il faut bien que je la dise. Presque tous les assistants auraient mieux rendu compte de ces poèmes que leurs auteurs mêmes. Je reconnus donc bientôt que ce n'est pas la sagesse qui guide les poètes, mais une sorte d'inspiration naturelle, comme celle des devins et des prophètes, qui disent de belles choses sans les comprendre.

Enfin, je m'adressai aux artisans. Je savais bien que je ne trouverais en eux à peu près rien de bon, et je savais aussi qu'ils possédaient sur leur métier des connaissances précieuses. Je ne fus pas trompé dans mon attente : ils savaient des choses que j'ignorais, et en cela ils étaient plus sages que moi.

Mais, Athéniens, les bons artisans me parurent tomber dans le même défaut que les poètes : parce qu'ils exerçaient leur art avec habileté, chacun d'eux se croyait très capable de parler sur les sujets les plus importants, et cette erreur cachait à leurs yeux leur ignorance réelle.

Je me demandai alors, pour mon compte, si j'aimerais mieux être tel que je suis, sans être ni sage de leur sagesse, ni ignorant de leur ignorance, ou posséder ce qu'ils possèdent et ne pas posséder ce que je ne possède pas. Je me répondis à moi-même et à l'oracle que j'aimais mieux rester tel que j'étais.

C'est cette recherche, Athéniens, qui m'a valu tant d'inimitiés, si amères et si redoutables, d'où sont nées tant de calomnies, et cette réputation de sage qu'on me fait. En effet, les assistants s'imaginent chaque fois que je démontre la sagesse des autres, je la possède moi-même. Mais, Athéniens, le dieu est sans doute vraiment sage, et par cet oracle, il a voulu dire que la sagesse humaine n'est pas grand-chose, ou même qu'elle n'est rien. Et s'il a nommé Socrate, il s'est servi de mon nom pour me prendre comme exemple [...] »

— Platon, Apologie de Socrate, 21a-23b (traduction de Victor Cousin, modifiée)

La phrase exacte que Socrate a vraiment prononcée : « Je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas » (21d). C'est cette attitude intellectuelle d'humilité critique qui fonde toute la démarche philosophique socratique.

Explication du texte : La sagesse de l'ignorance consciente

Le sens profond de la déclaration socratique

La célèbre phrase ne signifie pas que Socrate « ne sait rien » absolument parlant, mais qu'il a conscience des limites de son savoir. Cette prise de conscience représente en réalité une forme supérieure de sagesse.

« La véritable sagesse est de connaître ses limites »

Les trois types d'ignorance selon Socrate

  • L'ignorance simple : Ne pas savoir, sans en avoir conscience
  • L'ignorance double : Ne pas savoir, mais croire savoir (le pire des états)
  • L'ignorance consciente : Ne pas savoir, et en avoir conscience (le début de la sagesse)

C'est cette troisième forme d'ignorance que Socrate revendique comme supérieure à la fausse sagesse de ceux qui croient savoir ce qu'ils ignorent.

La suite essentieuse : Ce qu'on oublie toujours de citer

La véritable portée philosophique de la déclaration socratique réside dans ce qui suit immédiatement la fameuse phrase :

« [...] De là, je m'éloignai, me disant à moi-même : "Je suis plus sage que cet homme. Il se peut que ni lui ni moi ne sachions rien de vraiment beau et de vraiment bon ; mais lui, il croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien ; tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas."

Je passai ensuite à un autre, à un de ceux qui paraissaient encore plus sages que le premier, et je trouvai la même chose. Là encore, je m'attirai la haine de cet homme et de beaucoup d'autres.

Je continuai mes recherches, comprenant toujours avec douleur et crainte que je me faisais des ennemis, mais croyant devoir préférer à tout les intérêts du dieu. Pour trouver le vrai sens de l'oracle, je devais m'adresser à tous ceux qui avaient la réputation de savoir quelque chose.

Et, par le chien ! — car il faut vous parler franchement —, la vérité, à ce qu'il me semble, la voici : ceux qui avaient la plus grande réputation me parurent à peu près les plus dénués de sagesse, tandis que d'autres, qu'on regardait comme inférieurs, se montrèrent des hommes plus sensés.

— Suite directe du passage précédent (21d-22a)

L'essentiel oublié : La déclaration « je sais que je ne sais rien » n'est pas une fin en soi, mais le point de départ d'une mission philosophique : examiner les prétendues connaissances des autres et révéler leurs contradictions pour les amener à prendre conscience de leur propre ignorance.

L'héritage philosophique : De Socrate à nos jours

La déclaration socratique a fondé toute une tradition philosophique qui valorise le doute méthodique et la remise en question des certitudes :

  • Le doute cartésien : Descartes reprendra cette idée dans son « Discours de la méthode »
  • La critique kantienne : Kant explorera les limites de la connaissance humaine
  • La maïeutique : L'art d'accoucher les esprits, méthode éducative inspirée de Socrate

« Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue » — Socrate (Apologie, 38a)

Références et sources authentiques

  • Platon - Apologie de Socrate (21a-23b) - Édition de référence
  • Platon - Ménon (80d) - Autre passage sur l'ignorance socratique
  • Xénophon - Mémorables - Témoignage complémentaire sur Socrate
  • Diogène Laërce - Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres - Source biographique
  • Pierre Hadot - Qu'est-ce que la philosophie antique? - Analyse contemporaine

Traductions recommandées : Victor Cousin, Léon Robin, Luc Brisson

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Article basé sur les textes originaux de Platon - Sources historiques vérifiées

Platon

Platon : Le Philosophe qui a façonné la pensée occidentale

Platon : Le Philosophe qui a façonné la pensée occidentale

Découvrez la vie, l'œuvre et l'héritage du philosophe grec dont les idées résonnent encore après 2400 ans

L'héritage immortel de Platon

Platon (428-348 av. J.-C.) est considéré comme l'un des penseurs les plus influents de l'histoire occidentale. Fondateur de l'Académie, première institution d'enseignement supérieur du monde occidental, et maître d'Aristote, son œuvre a traversé les siècles pour façonner notre conception de la philosophie, de la politique et de la connaissance.

"La mesure d'un homme est ce qu'il fait avec le pouvoir." - Platon

La vie de Platon : Du jeune aristocrate au philosophe

428 av. J.-C.

Naissance à Athènes dans une famille aristocratique. Son vrai nom est Aristoclès, mais on le surnomme "Platon" (du grec "platos" signifiant largeur) en raison de sa carrure imposante ou de son style d'écriture.

407 av. J.-C.

Rencontre décisive avec Socrate, qui devient son maître et influence profondément sa pensée philosophique.

399 av. J.-C.

Condamnation à mort de Socrate. Cet événement traumatisant pousse Platon à quitter Athènes et à voyager en Méditerranée.

387 av. J.-C.

Fondation de l'Académie à Athènes, considérée comme la première université occidentale, où il enseignera pendant près de 40 ans.

348 av. J.-C.

Mort de Platon à l'âge d'environ 80 ans, laissant derrière lui une œuvre colossale et une institution qui survivra pendant 900 ans.

Socrate : Le Maître et le Mentor

Image: Représentation classique de Socrate

Socrate (470-399 av. J.-C.), le philosophe qui a inspiré Platon et révolutionné la pensée grecque

Socrate, considéré comme le père de la philosophie occidentale, n'a jamais rien écrit. Tout ce que nous savons de lui provient principalement des écrits de son disciple Platon, qui en fait le personnage principal de la plupart de ses dialogues.

La méthode socratique

La contribution majeure de Socrate à la philosophie est sa méthode d'enseignement, basée sur le questionnement et la dialectique :

La maïeutique : Littéralement "l'art d'accoucher", cette méthode consiste à aider l'interlocuteur à "accoucher" de la vérité par lui-même, grâce à un questionnement habile qui révèle les contradictions dans ses croyances.

"Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien." - Socrate

Dans les dialogues de Platon, Socrate utilise constamment cette méthode pour remettre en question les certitudes de ses interlocuteurs et les amener à une compréhension plus profonde des concepts comme la justice, le courage ou la vérité.

La philosophie de l'argumentation chez Platon

Platon a développé une conception exigeante de l'argumentation, qu'il considère comme un outil au service de la recherche de la vérité, et non de la simple persuasion.

La dialectique platonicienne

Contrairement aux sophistes de son époque qui enseignaient l'art de persuader à tout prix, Platon considère que l'argumentation doit viser la découverte de la vérité objective. Sa méthode dialectique suit généralement ce processus :

  1. Examen critique des opinions communes
  2. Identification des contradictions dans les positions adverses
  3. Recherche de définitions précises des concepts fondamentaux
  4. Ascension vers les Idées ou Formes intelligibles

La théorie des Idées

Au cœur de la philosophie platonicienne se trouve la distinction entre le monde sensible (celui des apparences) et le monde intelligible (celui des Idées éternelles et immuables). Pour Platon, l'argumentation véritable doit nous conduire des opinions changeantes vers la connaissance des réalités permanentes.

L'allégorie de la caverne (La République, Livre VII) illustre cette quête : des prisonniers enchaînés dans une caverne prennent des ombres pour la réalité. Le philosophe est celui qui se libère et découvre le monde véritable à l'extérieur.

Les dialogues de Platon : Une œuvre monumentale

Platon a exposé sa philosophie à travers une série de dialogues, où Socrate tient généralement le rôle principal. Ces œuvres sont classées en trois périodes :

Dialogues de jeunesse

Apologie de Socrate, Criton, Lachès, Euthyphron - Centrés sur la défense et la méthode de Socrate

Dialogues de maturité

Le Banquet, Phédon, La République, Phèdre - Développement de la théorie des Idées

Dialogues de la vieillesse

Le Sophiste, Le Politique, Timée, Les Lois - Révisions et approfondissements

Dialogues sur l'argumentation

Gorgias, Protagoras - Critique de la rhétorique sophistique

"L'homme est la mesure de toutes choses." - Protagoras (cité par Platon dans le Théétète)

L'héritage platonicien

L'influence de Platon sur la pensée occidentale est immense et durable :

  • Philosophie : Fondation de l'idéalisme occidental
  • Éducation : Création du modèle académique
  • Politique : Vision du gouvernement par les philosophes
  • Science : Inspiration pour la méthode hypothético-déductive
  • Religion : Influence sur la théologie chrétienne

Le mathématicien et philosophe Alfred North Whitehead a même affirmé que "toute l'histoire de la philosophie occidentale n'est qu'une série de notes en bas de page aux dialogues de Platon".

Références et lectures recommandées

  • Platon - Œuvres complètes (édition GF Flammarion)
  • Platon - La République (traduction de Robert Baccou)
  • Luc Brisson - Platon, les mots et les mythes
  • Jean-François Pradeau - Platon et la cité
  • Pierre Hadot - Qu'est-ce que la philosophie antique?

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