2008-04-21
"Storytelling" un livre de Christian Salmon
Dans "Storytelling", l’ex-président de l’ancien Parlement international des écrivains, Christian Salmon, retrace la généalogie de cette nouvelle doctrine ("l'art de raconter des histoires"), aujourd’hui devenue "arme de distraction massive" à même non seulement de formater notre rapport à la réalité, mais de fabriquer le réel. Le fin du fin de la propagande du marché.
Le "storytelling" est apparu dans les années 90. Aux Etats-Unis, pour commencer. A cette période, "le tournant narratif des sciences sociales coïncide avec l'explosion d'Internet et les avancées des nouvelles techniques d'information et de communication". Une nouvelle fois, la communication entre les individus mutait.
Mais là, on allait passer du capitalisme de capitaine d’industrie à un libéralisme sans visage devenu nomade et indolore. Les repères cessaient d’exister. Ce n’est plus notre rapport au monde qui allait changer, mais notre perception du monde. C’est à ce moment que les multinationales ont développé une stratégie consistant à passer de la marque au logo, dans la façon de concevoir leurs publicités. Changeant notre perception de la marque, son pouvoir de narrativité, son attrait... et donc sa force d'impact, et donc sa force de vente.
Quand le Pentagone et Hollywood travaillent ensemble, ce n’est pas le monde qui change. C’est le réel.
Après le 11 Septembre, scénaristes et dirigeants se concertent
Evidemment, le 11 Septembre est un tournant dans l’histoire moderne. Comme une incursion de fiction dans le réel. La réponse du pouvoir américain Peu après l’attentat, il y eût une réunion entre hauts responsables américaines et quelques scénaristes (le co-scénariste d’"Apocalypse Now", le scénariste de "Die Hard", le réalisateur de "Grease"...), où il leur fut demandé d’imaginer les scénarios d’une attaque terroriste et les répliques à apporter.
C’est ici un des multiples exemples de "storytelling de guerre" du livre.
Et la France? Si "Sarkozy joue sa présidence comme on joue dans un film", les dirigeants sont encore au stade du bricolage en matière de storytelling.
Christian Salmon dévoile ici les rouages d’une « machine à raconter » qui remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes de la société totalitaire. Ce « nouvel ordre narratif » va au-delà de la création d’une novlangue médiatique engluant la pensée : le sujet qu’il veut formater est un individu envoûté, immergé dans un univers fictif qui filtre les perceptions, stimule les affects, encadre les comportements et les idées…
Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS (Centre de recherches sur les arts et le langage), a fondé et animé, de 1993 à 2003, le Parlement international des écrivains. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Tombeau de la fiction (Denoël, 1999), Devenir minoritaire. Pour une politique de la littérature, entretiens avec Joseph Hanimann (Denoël, 2003), Verbicide (Actes Sud, 2007).
Christian entretien vidéo: